Le lion n’en fait-il qu’à sa tête ? Exemple de la défense d’un signe figuratif composé d’une tête de lion

By Fabienne Maucarré,
signe figuratif composé d’une tête de lion

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Les représentations d’animaux sont fréquemment utilisées à titre de marques. Qu’en est-il cependant de la défense de tels signes figuratifs ? Ce n’est pas toujours chose facile, comme l'explique Fabienne Maucarré

Dans son Arrêt du 20 décembre 2023 (affaire T-564/22), le Tribunal de l'Union Européenne (TUE) nous offre un éclairage instructif sur l'opposabilité d'une marque composée d'une tête de lion.

Antécédents du litige

Rappelons brièvement les faits de cette affaire : Pierre Balmain S.A.S. a déposé le 23 novembre 2017 auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) la demande de marque figurative N° 017515099 (à gauche) pour couvrir notamment des produits en classes14 et 25. Il est à ce titre intéressant de noter que cette demande d’enregistrement a été refusée par l’EUIPO pour défaut de caractère distinctif pour des produits tels que des boutons de manchettes en classe 14.

 Pierre Balmain S.A.S    Story Time Sp. z o.o.

La division d’opposition a accueilli l’opposition formée par Story Time Sp. z o.o. contre l’enregistrement de cette marque sur le fondement de la marque antérieure polonaise (à droite).

Puis la chambre de recours a rejeté le recours de Pierre Balmain S.A.S.  estimant qu’il existait bien entre les marques un risque de confusion, notamment parce que le niveau d’attention du public pertinent pour les produits en cause variait de moyen à élevé, que les marques en conflit étaient similaires à un degré moyen sur le plan visuel et identiques sur le plan conceptuel (référence commune à une tête de lion constituant l’élément dominant de chaque marque) et que la marque antérieure bénéficiait d’un degré de caractère distinctif intrinsèque jugé normal.

C’est dans ces conditions que Pierre Balmain S.A.S. a formé un recours auprès du Tribunal afin d’obtenir l’annulation de la décision de la chambre de recours.

Position du TUE

Par Arrêt du 20 décembre 2023, le TUE annule la décision de la chambre de recours faisant ainsi droit au recours de Pierre Balmain S.A.S..

S’agissant tout d’abord du niveau d’attention du public, le TUE rejette le premier grief de Pierre Balmain S.A.S. qui estimait que pour tous les produits relevant de la classe 14, mais également une partie de ceux de la classe 25 (tailleurs et fourrures par exemple), le public pertinent ferait preuve d’un niveau d’attention élevé, dès lors qu’il s’agit de produits onéreux utilisés dans des circonstances particulières. Le TUE estime que « même si la requérante avance que les produits en cause, relevant des classes 14 et 25, ne sont pas des produits d’usage courant, il ne ressort pas de leur description qu’il ne s’agirait que de produits de luxe, très sophistiqués ou onéreux » (point 34). Le TUE retient tout de même, pour ces deux classes, un niveau d’attention variant de moyen à élevé.

Concernant la comparaison des marques en conflit et la détermination de leurs éléments dominants, le TUE rappelle que « dans le secteur de la mode, il est de pratique banale ou courante d’utiliser des représentations de lions ou de têtes de lions ou, de manière plus générale, d’animaux sauvages, forts et exotiques dans la présentation commerciale ou la décoration des produits, tels que ceux relevant des classes 14 et 25 » (point 48) pour conclure que sur le plan visuel, la tête de lion peut être considérée comme l’élément dominant sans pour autant devoir ignorer les autres éléments figuratifs composant les marques.

Sur le plan visuel, le TUE reconnait le degré moyen de similitude entre les marques, tout en précisant que les différences relevées par la requérante ne sont pas suffisantes, car le consommateur garde en tête une image imparfaite des marques. La chambre de recours n’a donc pas commis d’erreur d’appréciation.

Conceptuellement, le TUE confirme également l’identité conceptuelle entre les marques en ajoutant que cette identité n’est pas nécessairement déterminante pour l’appréciation globale du risque de confusion.

Alors que la chambre de recours estime que la marque antérieure jouit d’un caractère distinctif normal, la requérante l’estime faible ce qui sera suivi par le TUE compte tenu des pratiques du secteur exposées ci-dessus.

S’agissant enfin de l’analyse globale du risque de confusion, le TUE rappelle que selon une jurisprudence constante, il n’y a généralement pas de risque de confusion lorsque les marques coïncident sur un élément de caractère faiblement distinctif au regard des produits ou des services en cause. Dès lors, afin d’annuler la décision et faire droit au recours de Pierre Balmain S.A.S., le TUE précise, dans le cas d’espèce, que « même si les marques en conflit sont identiques sur le plan conceptuel, cela ne peut avoir qu’une importance limitée dans l’appréciation globale du risque de confusion dans la mesure où le concept commun auquel lesdites marques renvoient n’a qu’un caractère faiblement distinctif » (point 88) et que « le fait que les marques en conflit présentaient un degré de similitude moyen sur le plan visuel n’était pas suffisant pour permettre à la chambre de recours de conclure, dans la décision attaquée, à l’existence d’un risque de confusion (…) et ce même si les produits en cause étaient identiques » (point 89).

C’est donc sur l’appréciation du caractère distinctif de la marque antérieure et l’analyse globale du risque de confusion que le TUE juge que l’EUIPO a commis une erreur d’appréciation.

Analyse de cette décision

Le lion s’était notamment déjà illustré en droit des marques par son rugissement qui constituait une marque sonore, le voici qui s’illustre à nouveau en tant que marque figurative.

Identité entre les produits, identité conceptuelle et similitude visuelle moyenne entre les signes ne riment donc pas nécessairement avec risque de confusion ce qui pourrait prima facie paraître surprenant.

Toutefois, si l’on prend en considération le fait que la comparaison phonétique entre les signes ne soit pas possible et que l’élément dominant commun ne soit que faiblement distinctif, la décision apparaît alors moins sévère qu’elle n’y paraît.

En effet, la protection d’un genre n’ayant pas lieu à s’appliquer en droit des marques, cette décision revient au final à ne pas surprotéger les marques faiblement distinctives et à leur octroyer non pas un monopole, mais une faible opposabilité obligeant ainsi les marques constituées de lions à coexister pacifiquement entre elles.

Cette décision semble dès lors assez juste dans sa conclusion mais, et même si cela n’aurait au final pas changé la donne, il peut être regrettable que les différences entre les signes n’aient pas été davantage considérées.
En effet, malgré l'existence de différentes races, les lions se ressemblent plus ou moins pour le grand public, ce qui ne serait pas le cas s'il y avait un lion et une lionne ou d'autres mammifères tels que des chiens de races différentes (un teckel se distingue d'un berger allemand, par exemple, ce qui exclut tout risque de confusion entre eux). Dès lors, si le degré d’attention du public est a minima moyen, est-ce qu’il ne pourrait pas y avoir seulement une similitude conceptuelle élevée et une similitude visuelle faible en lieu et place d’une identité conceptuelle et d’une similitude visuelle moyenne entre les signes :

et ?

En conclusion, même si, selon le TUE, l’élément dominant des marques en présence est bien la tête de lion, ce dernier n’en fait finalement pas qu’à sa tête, car la défense d’un tel signe n’est pas un exercice aisé dans un secteur tel que la mode !
Il est à supposer que se battre comme un lion ne suffira donc pas à défendre royalement sa marque sauf si, probablement, la renommée de la marque formée par un tête de lion peut être prouvée...

Pour obtenir des conseils personnalisés sur la protection des signes courts en tant que marques, adressez-vous à votre Conseil Novagraaf ou contactez-nous ci-dessous.

Fabienne Maucarré Conseil en Propriété Industrielle - Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France.

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