Quand les chiffres font leur numéro dans la jurisprudence européenne sur les marques

By Clarisse Merdy,
L’EUIPO a rejeté l'opposition de Chanel face à Simb D.O.O.

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Contextualisation de l’affaire

Cette affaire oppose la célèbre Maison de couture Chanel, à la société slovaque Simb D.O.O. La première, titulaire des marques françaises « N°5 » n°1293767 et « 5 » n°98755754, avait alors formé opposition à l’encontre de la demande de marque figurative n°18872562 déposée par la seconde.

           
   N°5 
Chanel 
  Simb D.O.O

Dans son argumentaire, la Maison Chanel demandait le rejet de cette demande d’enregistrement, mettant en avant le caractère distinctif et la réputation de « N°5 » , sa marque de parfum mondialement connue. Elle arguait également que, du fait du caractère dominant du chiffre « 5 », la similitude entre les signes était évidente, tout comme celle des produits en cause, désignés en classe 03. En parallèle, Simb D.O.O a défendu sa demande, soulignant son caractère distinctif, son originalité et l’absence confusion entre les signes.

L'EUIPO devait ainsi examiner le risque de confusion, si la demande contestée présentait une distinctivité suffisante par rapport à « N°5 », et subséquemment, si la renommée de la marque de Chanel justifiait une protection élargie.

Position de l’EUIPO en l’espèce

D’une part, l’Office a admis la similitude entre les produits désignés en classe 03 par les marques en conflit : « L’examen de l’opposition sera effectué comme si tous les produits contestés étaient identiques à ceux des marques antérieures ». De plus, il n’a pas reconnu la similitude entre les signes « les différences entre les signes sont frappantes et seront mémorisées. L’effet de cette différence est encore renforcé par le fait que les signes sont courts ».

Sur la base des éléments produits par l’opposante, l’EUIPO a également retenu que : « aucun élément de preuve n’indique comment, quand et où le matériel publicitaire a été distribué; en particulier, si elles sont parvenues à des consommateurs sur le territoire pertinent, ou si les campagnes de marketing se limitaient à d’autres zones géographiques du monde […] les éléments de preuve versés au dossier ne suffisent pas à prouver un niveau de caractère distinctif supérieur au degré normal de caractère distinctif intrinsèque des marques antérieures », et conclu que : « Les marques antérieures, considérées dans leur ensemble, sont dépourvues de signification pour tous les produits en cause du point de vue du public du territoire pertinent. Dès lors, leur caractère distinctif doit être considéré comme normal ».

Une nécessité de soigner la preuve de toute distinctivité

La présente décision s’ancre dans une logique rigoureuse et sévère, d’appréciation du caractère distinctif des marques.

L’EUIPO a donc rappelé le principe guidant sa jurisprudence. En effet, en dépit de la renommée de la marque « N°5 » qui désigne des parfums de luxe depuis 1921 et qui pourrait donc paraitre universellement présente dans l’esprit des consommateurs, il est nécessaire de prouver cette renommée : « La division d’opposition doit ignorer toute connaissance privée qu’elle pourrait avoir du caractère distinctif accru des marques antérieures et limiter son appréciation aux seuls éléments de preuve versés au dossier ».

Les enjeux de cette appréciation sont importants dans la mesure où le risque de confusion est d’autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s’avère important (CJUE, 11/11/1997, affaire C-251/95 dite Sabèl). Subséquemment, les marques dont le caractère distinctif est reconnu comme accru, jouissent d’une protection juridique plus étendue (CJUE, 29/09/1998, affaire C-39/97 dite Canon).

Nous l’aurons compris, ce privilège n’est cependant pas inné, les entreprises devant fournir des éléments de preuve concrets et substantiels en rapport avec les produits et services désignés, tels que :

  • Preuve de l’usage de la marque : il peut s’agit de documents montrant la durée, l’intensité et l’étendue géographique de l’exploitation de la marque auprès des consommateurs
  • Études de marché : soulignant la reconnaissance de la marque parmi les consommateurs
  • Chiffres de vente : indiquant la réussite commerciale de la marque
  • Publicité et promotion : mettant en lumière les investissements en marketing et les campagnes publicitaires qui démontrent l'effort pour maintenir et accroître la notoriété
  • Récompenses et distinctions : attestant de la reconnaissance professionnelle et publique
  • Présence médiatique : il peut s’agit d’articles de presse, apparitions dans les médias, et mentions dans des publications montrant l'exposition de la marque.

Mise en exergue des impacts de l’appréciation de la distinctivité

Il est nécessaire de garder à l’esprit que la distinctivité est pertinente dans divers contextes, comme lors de l'évaluation du risque de confusion ou de l'atteinte à la renommée, mais elle ne doit pas interférer avec l'analyse stricte de la similitude des signes et elle ne sera reconnue comme élevée qu’à condition de pouvoir la démontrer par des preuves concrètes.

Les entreprises doivent donc veiller à toujours fournir des preuves substantielles et convaincantes pour bénéficier de la protection juridique des marques hautement distinctives voire renommées, tout en s’assurant de ne pas confondre la preuve de la « longévité » avec celle de la « distinctivité »… ce qui ne semble malheureusement pas avoir été le cas de la Maison Chanel en l’espèce. Nous pouvons imaginer qu’un recours pourrait être formé, ce qui permettrait à cette Maison de luxe de plaider la distinctivité de ses marques.

Affaire à suivre !

Clarisse Merdy, Juriste en Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, Bordeaux.

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