Une décoction n’est pas une divulgation

By Stéphanie Landais-Patarin,
Amazonie ruine

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La décision T2510/18 rappelle qu’un principe actif isolé peut être considéré comme nouveau, même s’il est naturellement présent dans des préparations traditionnelles. Un cas fascinant mêlant brevetabilité, savoirs autochtones et limites de l'art antérieur. Stéphanie Patarin vous explique les subtilités entre usage traditionnel et nouveauté en matière de brevets.

Le Brevet européen 2 443 126 avait pour objet une nouvelle molécule, la Simalikalactone E (SkE) (revendication 1), et son utilisation comme médicament en particulier destiné à la prévention et/ou au traitement du paludisme.

Une molécule prometteuse issue de la médecine traditionnelle 

molécule SKe - paludisme - BrevetLa SkE était isolée de feuilles de Quassia amara ; plante traditionnellement utilisée en Amazonie pour traiter le paludisme.

 

 

 

 

 

La nouveauté remise en question : analyse de la décision T2510/18 

La nouveauté de cette molécule SkE a été disputée au regard de plusieurs documents de l’art décrivant l’activité anti-paludique de décoctions ou d’infusions de feuilles de Quassia amara ; contenant donc a priori la molécule SkE en combinaison avec d’autres composés. 

Bien que la Chambre ait considéré, via une interprétation large de la revendication 1, que ces préparations étaient effectivement couvertes par la portée de la revendication 1, elle a néanmoins conclu que la molécule SkE per se était nouvelle et impliquait une activité inventive.

La Chambre s’est basée sur le fait que pour être considéré comme nouveau l’objet d’une revendication doit être explicitement, directement et sans ambiguïté, divulgué dans l’art antérieur. Or si l’on admet la présence de la molécule SkE dans les préparations de feuilles de Quassia amara, celles-ci n’ont pas divulgué explicitement, directement et sans ambiguïté cette molécule et ses caractéristiques (e.g. formule, fonction) qu’elle soit utilisée seule ou en combinaison avec d’autres composés.

La Chambre a émis la même conclusion quant à une divulgation implicite de la molécule SkE du fait de sa présence dans des préparations de feuilles de Quassia amara. En effet ces préparations ne permettaient pas de constater d’emblée qu’aucun autre élément que la molécule SkE était présente dans ces préparations et responsable de l’activité anti-paludique sans devoir développer un effort excessif d’identification et de caractérisation. Aussi la molécule SkE ne faisait pas partie de l’état de la technique.

Savoir autochtone et propriété intellectuelle : des débats éthiques persistants 

Les Opposantes au Brevet ont alors fait valoir que la molécule SkE ne pouvait être considérée comme nouvelle car contrefaite du fait de l’utilisation pré-existante des préparations de feuilles Quassia amara. Les Opposantes ont en outre fait valoir que le Titulaire du Brevet disposerait d’un droit d’interdire aux autochtones de préparer des remèdes traditionnels à base de feuilles de Quassia amara pour lutter contre le paludisme. La Chambre s’est dit non convaincue et a rappelé que la question des droits fondés sur une utilisation antérieure relevait des droits nationaux.

En marge des considérations quant à la nouveauté et/ou l’activité inventive de la molécule SkE, les Opposantes au Brevet ont également fait valoir une contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs relatif à l’utilisation d’un savoir-faire traditionnel, accusant le Titulaire du Brevet d’avoir profité du savoir de communautés autochtones sans les informer ou recueillir leur consentement. La Chambre a repoussé cette objection en rappelant que la contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs portait sur l’exploitation de l’invention et non sur les conditions d’obtention de l’invention.

Il semblerait que par cette décision la Chambre ait voulu récompenser le Titulaire de la découverte, de l’isolement et de la caractérisation d’un principe actif particulier responsable de l’effet anti-paludique dans des préparations naturelles. Dans ce cas, il aurait peut-être plutôt fallu « récompenser » le procédé d’isolement de la molécule SkE à partir d’un produit naturel et/ou préciser que la molécule SkE était sous forme isolée dans la revendication 1, pour évacuer le problème de la présence « naturelle » de la molécule SkE dans les préparations de feuilles de Quassia amara en combinaison avec d’autres composés et accentuer ainsi la contribution du Brevet à rendre la molécule SkE directement et sans ambiguïté accessible au public.

Enfin il est clair que, si cela ne relève pas de la compétence de la Chambre, la question de l’exercice des droits demeure, bien qu’il soit peu probable, ne serait-ce que d’un point de vue moral, que le Titulaire du Brevet agisse en contrefaçon contre des populations autochtones préparant des remèdes traditionnels anti-paludiques à base de feuilles de Quassia amara.

Stéphanie Patarin, Conseil en Propriété Industrielle en Brevets, Novagraaf, France 

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