Anne Frank, droits d'auteur et géoblocage
Le tribunal d'Amsterdam a estimé que les mesures de géoblocage et de restriction d'accès étaient suffisantes pour protéger le droit d'auteur du "Journal d'Anne Frank" , bien que ces mesures ne soient pas totalement hermétiques. Volha Parfenchyk explique le contexte de ce litige.
Les droits d'auteur ne sont pas absolus et doivent être équilibrés avec d'autres intérêts et droits tels que la liberté de la recherche scientifique. Telle est la conclusion du tribunal dans l'affaire opposant une fondation basée aux Pays-Bas, l'Anne Frank Stichting, l'Académie Royale Néerlandaise des Arts et des Sciences (KNAW) et l'Association Belge pour la Recherche et l'Accessibilité des Textes Historiques. Dans son verdict du 1er février 2022, le tribunal a ainsi jugé que l'Anne Frank Stichting et ses codéfendeurs ne pouvaient être tenus pour responsables de la violation des droits d'auteur sur les œuvres d'Anne Frank, comme le prétendait le plaignant.
Le caractère national et non-absolu du droit d'auteur
L'affaire portrait sur deux questions juridiques qui constituent deux piliers du droit d'auteur :
- Le premier pilier correspond au caractère national du droit d'auteur. Bien que le droit d'auteur ait été dans une large mesure harmonisé dans le monde entier, la portée, la durée de la protection et d'autres éléments du droit d'auteur sont déterminés par les lois respectives de chaque pays. Par conséquent, il est très plausible que le droit d'auteur sur des œuvres particulières ait expiré dans un pays mais pas dans un autre. Ce caractère national de la législation sur le droit d'auteur peut toutefois poser un problème en raison des moyens de reproduction numériques modernes, tels qu'Internet, pour lesquelles les frontières nationales ne constituent plus une barrière. La question de savoir si les moyens techniques existants s'avèrent efficaces pour protéger les titulaires de droits d'auteur contre les effets transgresseurs d'Internet reste discutable, comme ce fut le cas dans l'affaire Anne Frank Stichting.
- Le deuxième principe essentiel de la loi sur le droit d'auteur est que les droits des titulaires ne sont pas absolus. Selon le droit européen et néerlandais (considérations 3 et 31 de la directive européenne sur le droit d'auteur), un juste équilibre doit être trouvé entre les droits des titulaires de droits d'auteur et les intérêts et droits des autres individus et du public. Ce dernier point inclut, entre autres, la liberté de la recherche scientifique, d'où l'importance de l'équilibre entre les droits et la liberté de la recherche scientifique.
Contexte de l'affaire Anne Frank Stichting
L'Anne Frank Stichting est une fondation basée aux Pays-Bas qui entretient la maison d'Anne Frank et effectue des recherches scientifiques sur ses œuvres. Ces dernières années, elle s'est engagée dans des recherches en collaboration avec la KNAW , et a même partagé ses œuvres sur un site web spécialement créé à cet effet. Étant donné que le droit d'auteur sur les œuvres d'Anne Frank a expiré dans certains pays (par exemple la Belgique), mais pas dans d'autres (comme les Pays-Bas), l'accès au site web a été limité aux premiers. En particulier, en raison des mécanismes de géo-blocage, les visiteurs des Pays-Bas n'ont pas pu accéder au site web. En outre, les visiteurs devaient confirmer qu'ils visitaient ce site depuis un pays dans lequel le droit d'auteur sur les œuvres d'Anne Frank a expiré en cochant une case spéciale.
Le Fonds Anne Frank a d'ailleurs contesté la création de ce site web ainsi que la publication des œuvres d'Anne Frank. Elle a fait valoir que la géolocalisation ne permet pas de protéger pleinement les droits d'auteur aux Pays-Bas, car ces mécanismes peuvent être facilement contournés par une connexion VPN. Le Fonds Anne Frank souhaitait mener ses propres recherches sur les œuvres d'Anne Frank, qui pourraient être compromises par leur publication sur le site web ainsi créé. Il a alors intenté une action contre l'Anne Frank Stichting, la KNAW et l'Association belge en invoquant la violation de son droit d'auteur.
Le jugement du tribunal d'Amsterdam
Le 1er février 2022, le tribunal d'Amsterdam a rendu son verdict dans lequel il a rejeté les demandes du Fonds Anne Frank.
- (1) Le tribunal a fait valoir que les défendeurs ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour bloquer l'accès du site web aux Pays-Bas. Pour ce faire, ils ont utilisé des mécanismes de géolocalisation et de contrôle d'accès. Ils ont également donné des exemples d'autres sociétés, telles que Netflix et Amazon, qui ont cherché à assurer la protection du droit d'auteur par des mécanismes de géolocalisation. Le tribunal a donc conclu que les défendeurs n'ont pas mené d'activités liées au droit d'auteur aux Pays-Bas et que leurs actions n'ont donc pas conduit à la violation du droit d'auteur du demandeur.
- (2) Le tribunal a soulevé le point de la nécessité de trouver un équilibre entre les droits des auteurs et les intérêts de la recherche scientifique. Selon les termes de la Cour, "un équilibre justifié doit être assuré entre les intérêts des titulaires de droits, ainsi que les droits fondamentaux des utilisateurs du matériel protégé, tels que la liberté de la recherche scientifique". La publication des résultats de cette recherche scientifique ne serait guère possible sans la publication des sources originales de cette recherche, à savoir les manuscrits. L'interdiction de publier les résultats de cette recherche, y compris les manuscrits, empêcherait tous les utilisateurs du monde entier de profiter des résultats de cette recherche, et pas seulement les utilisateurs néerlandais. Pour la Cour, ce résultat serait "disproportionné".
En conclusion, si le géoblocage et les tests d'accès ne sont peut-être pas infaillibles, le tribunal d'Amsterdam estime que ces mesures sont suffisantes. En effet, le droit d'auteur n'est pas absolu et doit être équilibré avec d'autres droits et devoirs.
Pour plus d'informations sur ce sujet ou pour des conseils sur la protection de vos œuvres, veuillez-vous adresser à votre Conseil habituel Novagraaf ou n'hésitez pas à nous contacter ci-dessous.
Volha Parfenchyk travaille au sein de la Knowledge Academy de Novagraaf. Elle est basée à Amsterdam.