Droit à l'image : Verstappen, pilote de Formule 1, veut gagner en dehors du circuit
Le pilote de course Max Verstappen espère poursuivre sa série de victoires devant les tribunaux alors qu'il cherche à protéger son droit à l'image contre l'utilisation d'un sosie. Julia Schefman explique le contexte de l'affaire néerlandaise, tandis que Marine Dissoubray et Luke Portnow présentent les perspectives française et britannique.
Le sujet du droit au portrait (ou à l'image) a été mis en avant aux Pays-Bas suite à une bataille de publicités à laquelle se sont livrés deux supermarchés concurrents, Jumbo et Picnic. Après que Jumbo a lancé une publicité mettant en scène Max Verstappen, Picnic a répondu par une publicité présentant un sosie du pilote de course portant sa célèbre combinaison et sa casquette. La question posée aux tribunaux était de savoir si Picnic avait violé les droits à l'image de Verstappen en utilisant son sosie.
Droit à l'image et célébrité : Les perspectives néerlandaise, française et britannique
Aux Pays-Bas, le droit à l'image fait partie du droit d'auteur. L'article 21 de la loi néerlandaise sur le droit d'auteur (Auteurswet) donne aux personnes le droit de s'opposer à la publication de leur portrait lorsqu'elles ont un intérêt raisonnable à le faire. Si la portée exacte de l'"intérêt raisonnable" est souvent débattue, la Cour suprême néerlandaise s'est concentrée sur la définition d'un portrait dans son dernier arrêt du 22 avril (Verstappen contre Picnic).
Cependant, le droit de protéger sa propre image est géré différemment selon les juridictions. En France, par exemple, le droit à sa propre image est un droit jurisprudentiel issu du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 9 du Code civil, explique Marine Dissoubray, conseil en marques français : “Selon la jurisprudence constante de la Cour de Cassation : “toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa reproduction”.
Il est en principe interdit d’utiliser l’image d’une personne sans avoir obtenu son autorisation expresse et spéciale. Cela vaut pour les photos/vidéos prises dans des lieux privés, mais également dans des lieux publics. Il est possible de photographier une foule, mais les personnes présentes sur la photo ne doivent pas apparaître en gros plan. Il suffit par ailleurs que la personne concernée soit identifiable, quand bien même son visage serait flouté par exemple, pour que l’atteinte au droit à l’image soit caractérisée. Une personne peut également s’opposer à l’utilisation détournée de son image prise avec son autorisation, dès lors qu’elle est exploitée pour un objet autre que celui pour lequel le consentement avait été donné.
Toutefois dans le cas de célébrités, ce droit connaît plusieurs limites. L’image d’une personne célèbre peut être exploitée sans son autorisation si cela relève du droit à l’information (tant que les images ne sont ni choquantes ni équivoques), de l’exception de caricature ou encore si les photos montrent ces célébrités dans l’exercice de leur activité professionnelle. Néanmoins, une telle photo ne doit pas être utilisée à des fins publicitaires sans autorisation de la personne. En 2008, Nicolas Sarkozy alors président de la République, et Carla Bruni avaient assigné la compagnie Ryanair, pour avoir publié une photo d'eux comme support publicitaire sans leur autorisation. Le juge avait reconnu que cela constituait une atteinte au droit à l’image du couple, et avait condamné Ryanair à leur verser des dommages et intérêts (Tribunal de grande instance de Paris, 5 février 2008).
En revanche, le Royaume-Uni n'a pas de loi officielle sur le "droit à l'image", bien que le délit de "passing off" prévu par la common law ait été plus fréquemment –reconnu ces dernières années dans des affaires portant sur l’image d’une personne, comme l'explique Luke Portnow, avocat spécialisé dans les marques au Royaume-Uni :
"Une jurisprudence utile découle d'une action en justice réussie devant la Haute Cour par la star internationale Rihanna contre le détaillant de mode Topshop en 2013. L'affaire a été tranchée sur la base des faits (notamment le fait que Topshop avait tweeté que Rihanna visitait son magasin phare d'Oxford Circus peu avant de mettre les vêtements en vente). En particulier, la décision a réaffirmé qu'"il n'existe pas aujourd'hui en Angleterre de droit général autonome d'une personne célèbre (ou de toute autre personne) de contrôler la reproduction de son image".
Cela a été confirmé par la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles en 2015. Cependant, Rihanna a eu gain de cause car plusieurs éléments et actions de Topshop s'apparentaient à une représentation trompeuse, donc passibles d'une action en passing off, de sorte qu'une injonction et des dommages et intérêts pouvaient être obtenus sur la base de ce délit de common law."
Verstappen contre Picnic : Le jugement de la Cour suprême néerlandaise
Cette affaire Verstappen contre Picnic est d'abord passée devant le tribunal d'Amsterdam et la cour d'appel d'Amsterdam avant d'atteindre la Cour suprême néerlandaise. Alors que le premier tribunal s'est prononcé en faveur de Verstappen, confirmant que Picnic avait effectivement porté atteinte à ses droits, la Cour d'appel a annulé cette décision au motif que le sosie n'était clairement pas Verstappen. La question posée à la Cour suprême était de savoir si l'image d'un sosie pouvait constituer un portrait en vertu de la loi néerlandaise sur le droit d'auteur, même s'il était clair que le sosie n'était pas réellement la personne à laquelle il avait été engagé pour ressembler.
Finalement, la Cour suprême a décidé qu'une image d'un sosie pouvait effectivement être désignée comme un portrait de la personne imitée. Toutefois, elle a assorti cette conclusion de deux exigences. Premièrement, la personne doit être reconnaissable à partir du sosie. Deuxièmement, il doit y avoir des facteurs supplémentaires qui augmentent les chances de reconnaissance de la personne dans le sosie ; par exemple, le contexte de l'image ou d'autres indicateurs dans l'image elle-même.
En outre, la Cour suprême a confirmé qu'une image d'un sosie pouvait également constituer un portrait même s'il était clair pour l'observateur que le sosie n'était pas la personne à laquelle il était censé ressembler. En outre, le caractère de l'image elle-même - par exemple, une parodie - n'est pas pertinent pour déterminer si l'image constitue ou non un portrait.
Implications pour le droit à l'image aux Pays-Bas
Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que (i) Verstappen était reconnaissable sur l'image et (ii) que la probabilité d'être reconnu était accrue par l'apparence et les vêtements du sosie ainsi que par le scénario de la publicité Picnic.
Bien que ce ne soit pas la première fois qu'un tribunal néerlandais juge que l'image d'un sosie constitue une violation du droit à l'image de la personne à laquelle elle est censée ressembler (Katja Schuurman et Gouden Gids contre Yellow Bear), la Cour suprême vient le confirmer par cet arrêt.
Il convient toutefois de noter que si la Cour suprême a annulé le jugement de la cour d'appel d'Amsterdam, elle a laissé à la cour d'appel de La Haye le soin de déterminer si Verstappen avait un intérêt raisonnable à s'opposer à la publication de ce portrait. Le défi de Verstappen n'est donc pas encore gagné, bien que la décision actuelle clarifie au moins la portée de ce qui constitue un "portrait" et un "droit au portrait".
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