La guerre en Ukraine sous l’angle du droit des marques

Par Marion Mercadier,
What can trademark refusals tell us about the war in Ukraine?

Plus de 18 mois après l'invasion de la Russie sur le territoire ukrainien le 24 février 2022, la guerre continue de ravager la région. Marion Mercadier fait le point sur les dépôts de marques en lien avec l’actualité en Ukraine.

Tout d'abord, il convient de préciser que l'Office ukrainien de la propriété intellectuelle continue de fonctionner à plein temps, tout en apportant une aide et une assistance humanitaires à ses employés et aux personnes dans le besoin. Comme l'a déclaré le directeur général d'Ukrpatent, Andrew Kudin, dans son communiqué de presse du 1er mars 2022 :

We would like to inform you that during this extremely difficult time for the country, during the military aggression of the Russian Federation against Ukraine, which became the reason for the imposition of martial law [...], Ukrpatent continues to operate on a full-time basis providing all the necessary functions and continuous operation of the state system of legal protection of intellectual property [...] We condemn the aggression of the Russian Federation against our country and as the Armed Forces of Ukraine defend the independence, sovereignty and territorial integrity of our country, Ukrpatent, for its part, does everything to protect the country in the field of intellectual property being a competitive institution for the world”.

En plus des lettres de soutien envoyées à l’office ukrainien, plusieurs offices de propriété intellectuelle ont mis en place des mesures exceptionnelles comme des extensions de délais officiels pour les titulaires ukrainiens, l’extension du SME Fund par l’EUIPO pour en faire bénéficier les entreprises et particuliers ukrainiens, mais également en envoyant des colis humanitaires.

Les délais officiels sont suspendus jusqu’à la fin de la loi martiale, qui a été dernièrement étendue jusqu’au 15 novembre.

Que nous apprennent les derniers chiffres sur les dépôts ?

L’Office ukrainien indique poursuivre son activité normalement et assurer la protection des droits de propriété intellectuelle, malgré le contexte actuel. Dans son dernier rapport d'activité du 4 septembre 2023, l'office fait état d'une augmentation de 51,2% des dépôts de droits de PI au cours du premier semestre 2023 par rapport au premier semestre 2022, avec des performances proches de leur activité avant la guerre.

Autre conséquence : des dépôts de marques en lien avec l’actualité en Ukraine

Comme à chaque fois qu’un évènement important se produit, nous relevons sur les registres des dépôts de marques en lien avec l’actualité (exemples : les nombreuses marques « Je suis Charlie » et « Pray for Paris » qui avaient été déposées après les attentats du 13 novembre 2015). La guerre en Ukraine n’y fait pas exception !

Les marques déposées en soutien à l'Ukraine, on peut citer les signes suivants :

United for Ukraine trademark refusals and registrations

 

 

 

 

 

 

D'autres demandes de marques ont été refusées, par exemple :

  • BE BRAVE LIKE UKRAINE (marque US n°97498168 – marque refusée)
  • I HELP UKRAINE (marque portugaise n°2 682335 – marque refusée)

Nous relevons également le dépôt de marques pour le moins surprenantes représentant le président ukrainien ou le président russe :

Russian presidents trademark refusals

(marque de l’UE n° 018664926 – déposée)

Russian presidents trademark refusals 2

(marque de l’UE n° 018666817 – déposée)

Ukraine presidents trademark refusals

(marque de l’UE n° 018666857 – déposée)

La marque verbale américaine I DONT NEED A RIDE I NEED GUNS & AMMUNITION n° 97297547 a été récemment acceptée et publiée pour opposition en classe 40 (Impression de messages sur des vêtements et des tasses).

Absence de caractère distinctif ou atteinte à l'ordre public et aux bonnes mœurs

L'examen des refus montre que les offices de propriété intellectuelle refusent certaines de ces nouvelles demandes de marque en invoquant l'absence de caractère distinctif ou l'atteinte à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Cette position est conforme à celle que nous avons observée en France pour les marques "Je suis Charlie", par exemple. Parmi ces refus, nous pouvons également citer :

Je suis Ukraine trademark refusals and registrations

(marque allemande n° 3020222094006) pour défaut de caractère distinctif.

United for Ukraine trademark refusals and registrations

(marque de l’UE n°018672791 déposée par Administration of the State Border Guard - Service of Ukraine) considérée comme contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

L'EUIPO a justifié de manière intéressante ce dernier refus par le contexte politique :

The relevant public would perceive the sign as contrary to accepted principles of morality as it seeks to gain financial gain from what is universally accepted to be a tragic event, namely the invasion of Ukraine by the Russian Federation [...] the sign was the last communication made during the February 2022 Russian attack on Snake Island in Ukraine's territorial waters, which cannot be considered an event for promoting the sales of goods and services.

“The implications of the war in Ukraine for the EU extend to inflation, Liquefied Natural Gas (LNG) imports (affecting energy and transport), increase in defense expenditure, refugees’ influx from Ukraine across Europe, shortage of raw materials and negative impact on emerging and developing countries. The EUIPO issued an interesting justification for this last trademark refusal based on the political context, explaining:

In addition, it is common knowledge that the war has resulted in the death of thousands of soldiers and in thousands of civilian casualties”.

Un appel a été déposé à l’encontre de la décision de refus.

Ces mêmes arguments ont été repris par l’EUIPO dans la décision de refus de la marque PUT PUTIN IN n°018843822 (qui peut se traduire par « faire enfermer Poutine »). 

L'émergence d'une jurisprudence "Zelensky" et "Poutine" ?

La marque de l’UE Zelenskyo's n°018819727 désignant notamment des produits à base de céréales en classe 30 a été refusée comme étant contraire aux bonnes mœurs.

Dans sa décision, l’EUIPO indique que le public pertinent de l’UE comprendra que ce signe fait référence au président ukrainien Volodymyr Zelensky et que la marque pourrait être perçue comme tirant un profit financier d’une situation « universellement acceptée comme étant un évènement tragique »

« “The fact that the mark has been written as ‘Zelenskyo’s’ is not sufficient to remove the immediate link between the mark and the Ukrainian president that has become the face of the victims in the Ukraine War. The Office notes that the name of the Ukrainian President is intrinsically linked to the war taking place in Ukraine. […] The relevant public throughout the European Union would perceive the sign ‘Zelenskyo's’ as contrary to accepted principles of morality as it is a banal use of a term with a highly positive connotation and the mark seeks to gain financial gain from what is universally accepted to be a tragic event (Ukrainian war)”.

Nous pouvons constater l’apparition d’une jurisprudence « Zelensky » avec des décisions similaires prises par les autres offices de propriété intellectuelle, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne qui ont respectivement refusé les marques ZELENSKYY (marque britannique n° W00000001723874) et VODKA ZELENSKY (marque allemande n° 3020220067532) pour défaut de caractère distinctif.

En parallèle, la demande d'enregistrement de la marque américaine F... PUTIN n° 97287065 pour la vodka dans la classe 33 a été refusée pour manque de caractère distinctif, l'USPTO expliquant que “this term or phrase is a commonly used message to convey disdain for Vladimir Putin. Because consumers are accustomed to seeing this term or phrase used in ordinary language by many different sources, they would not perceive it as a mark identifying the source of applicant’s goods and/or services but rather as only conveying an informational message”

En revanche, la marque américaine PUNCH PUTIN n° 97301603 est actuellement en cours d’examen. 

D'autres messages de soutien (moins offensants) ont également été refusés. Par exemple, le signe suivant a été refusé par les offices de propriété intellectuelle estonien, moldave et allemand pour défaut de caractère distinctif et comme faisant référence à la guerre :

Strong for Ukraine trademark refusals and registrations

L'Office allemand des brevets et des marques a expliqué : "la marque qui glorifie la guerre russo-ukrainienne en cours, avec ses innombrables victimes et ses souffrances sans fin, est contraire aux principes reconnus de la moralité/est contraire à l'ordre public".

De même, l'Office estonien des brevets a déclaré : "Compte tenu des éléments figuratifs et de la marque dans son ensemble, la marque peut être associée à la guerre et aux événements tragiques liés et en cours en Ukraine, [elle] n'est pas appropriée pour être utilisée à des fins commerciales".

Que pouvons-nous apprendre de ces refus de marques ?

Sans surprise, nous constatons que les offices de propriété intellectuelle refusent de nombreuses marques déposées dans le contexte de la guerre en Ukraine pour défaut de caractère distinctif et/ou atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Toutefois, nous relevons dans ces décisions un aspect politique et une prise de position des offices, ce qui est un élément plutôt inhabituel dans nos décisions relatives au droit des marques. 

L’occasion de rappeler 2 conditions de validité d’une marque importantes :

  • votre marque doit être distinctive
  • votre marque ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Comme nous pouvons le voir ici, ce critère peut s’appliquer dans de nombreuses situations.

N’hésitez pas à contacter votre conseil habituel pour obtenir un avis sur vos projets de dépôts de marques en France, en Union Européenne, à l’étranger et y compris en Ukraine ! 

Marion Mercadier, Conseil en Propriété Industrielle en Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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