Une marque déposée sans réelle intention d’usage peut-elle être annulée ?
La Cour, saisie d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation du droit de l’Union européenne en matière de marques de l’Union Européenne, s’est prononcée dans un arrêt en date du 29 janvier 2020, sur la question de la validité d’une marque pouvant être affectée par la mauvaise foi du déposant en ce qu’elle aurait été déposée sans intention de l’exploiter.
Les faits étaient les suivants :
Les sociétés de droit britannique Sky plc, Sky International AG et Sky UK Limited (les requérantes), qui ont pour activité principale la télédiffusion par satellite et numérique sont titulaires d’un certain nombre de marques contenant le terme SKY. Elles ont assigné devant la High Court of Justice de Londres les sociétés SkyKick UK Limited et SkyKick Inc. (les défenderesses) en raison de l’usage du signe SKYKICK pour des services informatiques de migration vers le nuage.
Les sociétés SkyKick ont contesté le grief de contrefaçon et ont invoqué à titre reconventionnel la nullité des marques SKY aux motifs que le libellé de ces marques manquerait de clarté, de précision et viserait des catégories de produits et services trop larges, en particulier les « logiciels » en classe 9, ce qui serait contraire à l’ordre public et, qu’elles auraient été déposées de mauvaise foi.
Sur le premier motif de défaut de clarté, la Cour précise que cette exigence ne fait pas partie des motifs de nullité mentionnés de manière exhaustive par le droit de l’Union et n’est pas contraire à l’ordre public. Elle rappelle par ailleurs qu’en tout état de cause, la portée de la protection de la marque s’étend aux produits au services effectivement exploités et qu’à l’issue du délai de 5 ans, le titulaire peut être déchu de ses droits si la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux.
Sur le second motif, la Cour rappelle que la mauvaise foi est caractérisée « s’il existe des indices objectifs pertinents et concordants tendant à démontrer que, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque considérée, le demandeur de celle-ci avait l’intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque ». Elle s’inscrit ainsi dans la lignée de la jurisprudence du Tribunal de l’UE et de la CJUE concernant l’appréciation objective de la mauvaise foi (Tribunal UE, 14 mai 2019, T-795/17, Carlos Moreira/EUIPO – Neymar Da Silva Santos Junior et Cour de Justice UE, C-104/18, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret AŞ/EUIPO et Joaquin Nadal Esteban).
La Cour conclut dans cette affaire que le dépôt d’une marque sans aucune intention de l’utiliser pour les produits et les services visés peut constituer un acte de mauvaise foi sous réserve de remplir les conditions susvisées.
Il est toutefois précisé dans cet arrêt et fort heureusement que le fait de ne pas avoir d’activité économique en relation avec les produits et services au moment du dépôt est insuffisant pour démontrer la mauvaise foi. Cette position est conforme au système de la marque de l’Union européenne qui n’exige aucune preuve ou intention d’usage au moment du dépôt, contrairement au système américain.
En définitive, une marque enregistrée pourrait donc être annulée pour mauvaise foi, ce qui permettrait à des opérateurs économiques d’agir pour neutraliser en amont des marques de concurrents jugées « trop gourmandes » et avant qu’elles ne soient soumises à obligation d’usage. Mais en pratique les conditions de mise en œuvre et notamment la question de la preuve de la mauvaise foi ne sera pas aisée à démontrer…
Il s’agit d’un motif de nullité de plus en plus invoqué et qui a récemment été visé à l’article L 711-2 du Code de la propriété Intellectuelle dans le cadre de la transposition de la directive dite « PAQUET Marques ». Attendons de voir comment l’INPI appliquera ces dispositions à la lumière de cette jurisprudence dans le cadre de ses nouvelles compétences en matière d’action en nullité.
Marianne Tissot, Conseil en Marques, Dessins et Modèles.