Une de ces inventions qui rappelle l’ingénieuse simplicité de l’œuf de Colomb

En ces jours de confinement, j’ai bien sûr été tenté de vous relater une petite story sur le professeur Didier Pittet qui, bien qu’étant le co-inventeur du gel hydroalcoolique, n’a pas gagné un seul centime avec sa solution que tout le monde s’arrache en ces temps de pandémie. Il a préféré faire don de sa trouvaille à l’OMS qui, dans les années 90, en publie la formule pour que chacun puisse en bénéficier. dropstop1Elevé en 2007 au rang de Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique par la reine Elisabeth II, l’anoblissement le plus élevé pour un étranger, cher Professeur soyez aujourd’hui chaleureusement remercié par les quelques 7,7 milliards d’individus que compte aujourd’hui la population mondiale pour votre action humanitaire !

Laissons le glycérol et l’auto-stérilisant de côté pour ne garder que l’alcool et nous intéresser au vin, en particulier à un accessoire que tout amateur de fruits de cépage possède certainement tant il est devenu un incontournable : le DropStop®.

Ce bec verseur a été inventé au Danemark par un dénommé Brian Vang Jensen. Après avoir été invité à verser le vin rouge à l’occasion du 80e anniversaire de sa tante, il avait à l’époque accidentellement renversé quelques gouttes de nectar sur le blanc immaculé de la nappe recouvrant la table de fête. Quelques jours après cet incident, le DropStop® était né.

Constitué d’une fine feuille circulaire à la fois souple, hydrofuge et élastique, ce bec verseur est d’une simplicité déconcertante. Mais quelles en sont les caractéristiques qui ont valu à son inventeur le mérite d’une protection par brevet ? Pour le savoir, je suis allé parcourir le document EP 0 560 777 dont la date de dépôt remonte aujourd’hui à près de 30 ans.

dropstop2A priori on pourrait s’attendre à une revendication principale plutôt courte du fait que son objet ne concerne qu’un film en forme de disque que l’on peut simplement rouler sur lui-même pour former un cylindre qu’il suffit ensuite d’insérer jusqu’à mi-hauteur dans le goulot de la bouteille. Et bien la première revendication de ce document ne compte pas moins de 25 lignes. Sa partie caractérisante définit la pièce de matière comme étant issue d’une matière en feuille de forme circulaire ayant une surface lisse, répulsive et de faible adhérence pour les liquides, afin d’empêcher efficacement les gouttes de cheminer du bord du goulot de la bouteille lors de l’achèvement du déversement, c’est-à-dire lorsque la bouteille est remise en position verticale.

dropstop3Pourquoi donc limiter cette pièce de matière à une forme circulaire si limitative ? La réponse se trouve dans la décision de rejet de la demande de brevet EP, émise par l’OEB avant le recours du déposant. Malgré plusieurs tentatives visant à démontrer la brevetabilité de son invention, la Division d’Examen a maintenu son défaut de nouveauté face à un document antérieur D1 (FR-B-1 198 362) déposé à Paris par un certain Juan Uriate Del Rio en 1958.

Ce document décrit une lame élastique de forme rectangulaire, dont l’un des grands côtés est coupé en double biseau pour former un angle au sommet duquel la lame se prolonge par un appendice. Cette lame est destinée à être enroulée sur elle-même pour en former un tube qui, lorsqu’il est introduit dans le goulot d’une bouteille, s’assujetti à ce dernier par son élasticité en exerçant une légère pression contre les parois du goulot.

dropstop4En recours, le déposant a fait valoir que le bec verseur de D1 était doté d’une forme relativement compliquée qui imposait de le positionner dans une certaine orientation avant de pouvoir le rouler pour en former un cylindre. Son utilisation s’en trouvait donc peu facilitée, contrairement à l’objet de son invention qui, en raison de sa forme circulaire, est simple, économique à fabriquer et peut avantageusement être roulé sans tenir compte d’une orientation particulière.

Après avoir par deux fois déposé une requête en poursuite de procédure pour avoir mal calculé et laissé filer des délais, après avoir manqué de requérir la tenue d’une procédure orale et été contraint de déposer un recours, le succès commercial de cet accessoire montre que le déposant et son représentant s’en tirent plutôt bien malgré une limitation très restrictive de la protection conférée par le brevet délivré pour cette invention.

« Une idée de génie ! », ainsi fut qualifié le DropStop® lorsqu’il obtint en 2006 l’une des récompenses gastronomiques italiennes des plus prestigieuses des mains de Luigi Veronelli qui ne manqua pas de préciser qu’il s’agissait là « d’une de ces inventions qui rappelle l’ingénieuse simplicité de l’œuf de Colomb ».

Alain Bandi, Conseil en Propriété Industrielle, Novagraaf Suisse

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