La revendication d’ancienneté, avantages et inconvénients

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La revendication d’ancienneté, un mécanisme propre au droit européen des marques, permet aux titulaires de marques de consolider leurs droits tout en réduisant les coûts de renouvellement. Cependant, cette approche présente des risques notables, notamment la perte de droits anciens si la marque européenne est remise en cause. Un outil pratique et économique, mais à manier avec précaution pour éviter des conséquences irréversibles.

La revendication d’ancienneté, qu’est-ce que c’est ?

La revendication d’ancienneté est un mécanisme connu du seul droit européen des marques permettant d’associer une marque européenne à une marque nationale enregistrée (ou désignation nationale de marque internationale) plus ancienne, afin de faire remonter les droits du titre européen, sur le territoire national pertinent, à la date de dépôt de la marque nationale plus ancienne. La marque nationale est ainsi « virtuellement » maintenue en vigueur par le biais de la marque européenne, sans qu’il soit nécessaire de renouveler le titre national de manière indépendante.

En cas de conflit avec un droit postérieur, il convient alors d’intervenir sur le fondement de la marque européenne, et non du droit national, mais en invoquant l’ancienneté revendiquée.

Le mécanisme est prévu à l’article 39 du Règlement européen 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne (RMUE), pour les revendications dans le cadre de nouvelles demandes de marques européennes, et à l’article 40 pour les marques européennes déjà enregistrées.

Le paragraphe 3 de l’article 39 présente très clairement l’intérêt de la revendication d’ancienneté :

 Le seul effet de l'ancienneté, en vertu du présent règlement, est que, dans le cas où le titulaire de la marque de l'Union européenne renonce à la marque antérieure ou la laisse s'éteindre, il est réputé continuer à bénéficier des mêmes droits que ceux qu'il aurait eus si la marque antérieure avait continué à être enregistrée.

La revendication d’ancienneté ne doit donc pas être confondue avec la revendication de priorité. Contrairement à cette dernière, l’ancienneté ne présente pas de caractère unitaire : les droits remontant à une date antérieure ne vaudront que pour le territoire de l’Etat membre de la marque nationale ancienne, et ne s’appliqueront pas vis-à-vis des autres Etats membres couverts par la marque européenne. Par exemple, si une marque européenne revendique l’ancienneté d’une marque allemande remontant au 1er septembre 1994, les droits en découlant ne seront valables à compter de cette date que sur le territoire allemand ; dans les autres 26 Etats membres, les droits prennent naissance seulement à la date de dépôt de la marque européenne.

Une marque européenne peut revendiquer l’ancienneté d’une ou plusieurs marques nationales, d’un même ou de différents Etats membres.

A titre d’exemple, la marque européenne Red Bull n° 000698720 revendique l’ancienneté de 118 marques/désignations nationales antérieures, sur les territoires de 25 Etats membres.

Pour être valable, la revendication d’ancienneté doit répondre à certaines conditions de fond :

  • Le titulaire de la marque européenne et celui de la marque nationale ancienne doivent être identiques ;
  • La marque ancienne était enregistrée au moment du dépôt de la demande de marque européenne, et était toujours en vigueur au jour du dépôt de la revendication d’ancienneté ;
  • Le signe constitutif de la marque européenne doit être identique à la marque nationale ;
  • Les marques doivent désigner des produits/services identiques.

Dans le cadre de l’examen réalisé par l’EUIPO, seule l’identité des signes est examinée.

La revendication doit également répondre à des conditions de forme :

  • Elle doit être déposée en même temps que la demande de marque européenne, ou bien dans un délai de deux mois à compter de cette date (pour les demandes de marques européennes), et indiquer l’État membre ou les États membres de l’UE dans lesquels la marque ancienne est enregistrée, la date de dépôt de l’enregistrement pertinent, le numéro de l’enregistrement pertinent, et les produits ou services pour lesquels la marque ancienne est enregistrée.

Les documents justificatifs doivent ensuite être transmis dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la revendication d’ancienneté ;

  • Pour les marques enregistrées, la revendication d’ancienneté peut être déposée à tout moment, et les documents justificatifs dans un délai de trois mois suivants le dépôt de la demande de revendication.

Ce mécanisme européen présente certains avantages, mais également des inconvénients.

Avantages et inconvénients de la revendication d’ancienneté

Si la revendication d’ancienneté présente des avantages financiers et pratiques non négligeables en termes de gestion de portefeuilles et de titres, l’abandon de titres nationaux indépendants qu’elle permet constitue un risque majeur de perte de droits anciens si la validité de la marque européenne devait être remise en cause.

A. La réduction des coûts, l’avantage majeur de la revendication d’ancienneté

Comme nous l’avons indiqué en I., le mécanisme de la revendication d’ancienneté d’une marque nationale antérieure permet d’associer cette dernière à une marque européenne plus récente, en faisant virtuellement remonter les droits de marque, sur le territoire national pertinent, à la date de la marque nationale. La marque ancienne survivant dès lors par le biais de la marque européenne, il n’est plus nécessaire de maintenir en vigueur la marque nationale antérieure de façon indépendante.

Le principal intérêt de la revendication d’ancienneté est donc économique, dans la mesure où par le renouvellement du seul titre européen, il permet de maintenir l’ensemble des droits nationaux antérieurs revendiqués.

Si l’économie peut sembler dérisoire dans les cas où l’ancienneté d’une seule marque est revendiquée, les taxes nationales de renouvellement n’étant généralement pas très élevées (en fonction des pays), elle peut être particulièrement importante si la marque européenne revendique l’ancienneté de nombreuses marques.

Ainsi, pour reprendre l’exemple de la marque Red Bull n° 000698720 qui revendique l’ancienneté de 118 marques, le renouvellement de la seule marque européenne n° 000698720 permet de maintenir en vigueur les 118 droits nationaux, et ainsi d’économiser les 118 taxes de renouvellement correspondantes.

Outre l’aspect économique, la revendication d’ancienneté présente également un intérêt pratique pour ce qui est de la gestion de portefeuilles de marques.

Comme pour les coûts, une unique formalité (renouvellement de la marque européenne) permet de maintenir un ensemble de marques antérieures plus anciennes. La gestion des titres, notamment pour les titulaires en possédant un grand nombre, s’en trouve nécessairement facilitée.

La revendication d’ancienneté présente donc des intérêts certains. Néanmoins, un arbitrage devra nécessairement être effectué au regard des risques qui existent.

B. Abandon de titres nationaux indépendants et risque de perte de droits anciens

Malgré certains avantages, l’intérêt premier de la revendication d’ancienneté – la possibilité d’abandon un titre national maintenu virtuellement en vigueur par un titre européen – constitue en fait, son principal risque.

En effet, bien que le titre européen et le titre national doivent être considérés comme des titres indépendants, ils sont étroitement liés, et les évènements affectant la marque européenne sont susceptibles d’affecter le droit national.

  • Remise en cause de l’ancienneté :

Hypothèse : action en nullité, fondée sur des motifs relatifs, contre une marque enregistrée après la marque nationale ancienne, mais avant la marque européenne, ou action en contrefaçon pour des faits commis après l’enregistrement de la marque nationale ancienne, mais avant le dépôt de la marque européenne.

Dans de tels cas, si le titre national ancien permettant d’agir n’a pas été renouvelé de façon indépendante, il convient d’invoquer la marque européenne postérieure, mais revendiquant l’ancienneté de la marque nationale.

Il est fort probable que le premier moyen de défense de la partie adverse soit de tenter de remettre en cause les droits du titulaire et, en conséquence, la revendication d’ancienneté, et notamment de :

  • Contester la validité de la revendication d’ancienneté de la marque européenne, s’il existe des irrégularités (par exemple, les signes/les produits désignés ne sont pas identiques). Si la revendication d’ancienneté est annulée et que la marque ancienne n’a pas été maintenue par la voie nationale, alors le droit s’éteint.
  • Contester la validité de l’ancienneté en tant que telle, c’est-à-dire, la validité du droit ancien. En effet, le paragraphe 4 de l’article 39 du RMUE dispose « L'ancienneté revendiquée pour la marque de l'Union européenne s'éteint lorsque la marque antérieure dont l'ancienneté est revendiquée est déclarée nulle ou frappée de déchéance. Si la marque antérieure est frappée de déchéance, l'ancienneté s'éteint sous réserve que la déchéance prenne effet avant la date de dépôt ou la date de priorité de ladite marque de l'Union européenne ».

Ainsi, quand bien même le droit national indépendant ne serait plus en vigueur du fait de son non-renouvellement national, il reste possible de contester sa validité par une action en nullité ou une action en déchéance pour non-usage, sous réserve que le motif de nullité ou de déchéance existait au jour de la revendication d’ancienneté.

Il convient donc d’être particulièrement vigilant à la question de l’usage de la marque ancienne, les conditions de preuve n’étant pas les mêmes, notamment pour ce qui est du territoire pertinent, que le titre soit national ou européen. En raison du caractère unitaire de la marque européenne, l’usage, même dans un seul pays, peut suffire à démontrer l’usage de la marque dans l’ensemble de l’Union européenne. Or, si la marque ancienne était vulnérable à une action en déchéance pour absence d’usage au jour de la revendication d’ancienneté, et que l’usage a ensuite été effectué dans un autre Etat membre, alors cet usage ne permettra pas de maintenir la marque ancienne.

En tout état de cause, dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le titulaire risque de perdre ses droits sur la marque ancienne.

  • Remise en cause de la validité de la marque européenne :

Comme nous l’avons dit précédemment, le maintien de la marque nationale antérieure dont l’ancienneté est revendiquée est étroitement liée à la validité de la marque européenne.

Du fait de cette interdépendance, les évènements susceptibles d’affecter la marque européenne peuvent également affecter la marque ancienne.

Ainsi, les obstacles pouvant s’opposer à l’enregistrement de la marque européenne ou pouvant le remettre en cause sont bien plus nombreux qu’à l’égard d’un titre national. En raison de l’effet unitaire de la marque unitaire, l’obstacle existant dans un Etat membre (qu’il s’agisse d’un motif absolu de nullité ou de l’existence d’un droit antérieur) est suffisant pour la faire tomber, tandis que l’obstacle existant dans un autre Etat membre que celui du territoire national de la marque ancienne ne devrait pas, en principe, permettre de remettre en cause cette dernière.

Dès lors, si la marque ancienne n’a pas été maintenue en vigueur de manière indépendante, mais seulement par le biais de la marque européenne, alors la nullité de la marque européenne entraînera nécessairement l’extinction de la marque ancienne et donc la perte des droits. Il en est de même d’une possible action en déchéance pour non-usage. En outre, si l’échéance de renouvellement de la marque ancienne est expirée (période de grâce comprise) au jour de l’évènement, il n’est pas, par la suite, possible de réactiver le droit national, qui est donc définitivement perdu.

Afin d’éviter une telle conséquence, il convient donc de maintenir également les enregistrements nationaux.

Reprenons la marque européenne Red Bull n° 000698720, citée plus haut en exemple, qui revendique l’ancienneté de 118 marques, qui sont également maintenues en vigueur par la voie nationale.

En conclusion :

Si le mécanisme de la revendication d’ancienneté permet des économies financières et une gestion facilitée des titres, il s’accompagne de risques de perte de droits anciens non négligeables et devra, en conséquence, être envisagé avec la plus grande prudence.

Par ailleurs, compte tenu des risques précités, il nous semble également manquer quelque peu son objectif, à savoir l’économie de taxes de renouvellements nationaux et une gestion facilitée des titres, notamment pour les titulaires individuels et les TPE/PME. En effet, ces derniers sont généralement titulaires de portefeuilles réduits, de sorte que l’économie financière réalisée sera peu important. A l’inverse, les multinationales titulaires d’importants portefeuilles (et bénéficiant d’un budget dédié au maintien des titres) pourraient y trouver un véritable intérêt économique. Néanmoins, compte tenu des risques identifiés, il est très probable qu’elles maintiennent également les marques anciennes par leurs renouvellements nationaux, faisant ainsi perdre son intérêt à la revendication d’ancienneté.

Pauline Pilaudeau, Juriste en Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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