Covid-19 : L’Organisation mondiale du commerce a approuvé en juin 2022 la levée temporaire des brevets pour les vaccins anti-Covid
La protection par brevet, un aperçu
Contrairement à la propriété privée, la propriété intellectuelle est un privilège accordé par l’État. Dans cette époque pleine d’accords de libre-échange, et où il n’y a presque plus place aux monopoles, le brevet d’invention reste une exception. En effet, le brevet est un des rares monopoles qui existe encore et qui est accepté dans la plupart des pays, car le brevet est un titre conférant à son titulaire un monopole d’interdiction d’'exploitation de son invention par un tiers, pendant au maximum vingt ans, pour autant que le titulaire paie chaque année, et dans chaque pays où il a un brevet, une annuité pour maintenir ses brevets en vigueur.
Sous réserve de nouveauté et d’activité inventive de l’invention, les brevets peuvent protéger un procédé de fabrication, un produit, une nouvelle utilisation d’un produit connu et un dispositif. L’entreprise bénéficie alors d’un monopole légal temporaire d’exploitation sur le territoire couvert par le brevet, monopole qui lui permet de vendre un peu plus cher son innovation pour rembourser ses frais de recherche et de développement. Ceci est particulièrement intéressant pour les sociétés pharmaceutiques où des investissements (très) importants sont nécessaires avant de pouvoir produire et vendre un médicament, car les médicaments sont souvent le fruit de plusieurs années de recherches et de développement et nécessitent de nombreux essais cliniques. Donc, les brevets visent à « indemniser » les entreprises pour le développement d’innovations, leur permettant de réinvestir dans la recherche, tout en empêchant d’autres de fabriquer et de commercialiser leurs inventions pendant un temps limité.
Vaccins anti-Covid
Pour les vaccins anti-Covid, nous sommes dans une situation de nécessité. Selon certains experts, les vaccins ont sauvé plus de 20 millions de personnes dans la première année d’utilisation : Des chercheurs à l'Imperial College de Londres ont utilisé un modèle épidémiologique pour prédire combien de décès supplémentaires seraient survenus au cours de l'année commençant le 8 décembre 2020 - le jour du premier vaccin au Royaume Uni - si aucun vaccin n'avait été administré, les autres facteurs (masques, confinement, distanciation etc.) étant restés les mêmes. En excluant les pays à faible population et la Chine, où les chiffres de surmortalité sont très incertains, la réponse était de 19,1 à 20,4 millions de vies sauvés (voir https://www.economist.com/graphic-detail/2022/07/07/covid-19-vaccines-saved-an-estimated-20m-lives-during-their-first-year).
Il s’est donc posé la question de la levée des monopoles conférés par les brevets couvrant les vaccins anti-covid et technologies associées.
Pourquoi une levée de brevets ?
Principalement du fait de capacités de production limitées, certains pays, souvent des pays « pauvres », peinent à obtenir des vaccins pour leur population. La crise sanitaire a perturbé l’ensemble de la société (confinement etc.) et a des multiples répercussions à l’échelle mondiale. Les vaccins semblent donc comme la principale issue de la crise planétaire. Il est clair que les vaccins sont efficaces et ont un coût pas trop élevé. Toutefois, il existe de grandes disparités d’accès à ces vaccins entre les différents pays, la grande majorité des doses produites ayant été utilisées par les pays les plus développés.
Après la mise au point des vaccins contre la Covid-19, se pose la question de leur production et de leur répartition équitable dans le monde. Une partie de la solution a été initiée par le mécanisme COVAX, dont l’action, consistant en l’attribution de doses de vaccins à des pays en voie de développement (tels que l’Inde, le Ghana et la Côte d’Ivoire), vise à assurer un accès mondial équitable à ces traitements.
Cependant, la problématique de la production d’un nombre suffisant de doses de vaccins demeure. Cette problématique a conduit l’Inde et l’Afrique du Sud, dont la demande a rapidement été appuyée par plusieurs autres pays en développement et par des pays développés (notamment les États-Unis et l’Australie), à solliciter devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) une levée des brevets portant sur les traitements et vaccins contre la Covid-19. En effet, selon ces États, la production insuffisante de doses de vaccins et la pénurie de traitements en résultant seraient imputables aux droits de propriété intellectuelle, et notamment aux brevets portant sur les traitements et vaccins. L’option de levée des brevets a été présentée comme pouvant permettre d’accélérer la production mondiale, et de mettre un terme à cette pénurie.
Pour ce faire, l’Inde et l’Afrique du Sud ont saisi l’OMC d’une demande de dérogation temporaire à certaines dispositions de l’Accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), instaurant un cadre de protection minimal pour la propriété intellectuelle aux membres de l’OMC qui s’occupe des règles régissant le commerce entre les pays. Sa principale fonction est de favoriser autant que possible la bonne marche, la prévisibilité et la liberté des échanges (voir https://www.wto.org/french/thewto_f/thewto_f.htm).
Pendant des discussions menées avec la Quadrilatérale (Afrique du Sud, États-Unis, Inde et Union européenne) pour apporter une réponse à la pandémie de Covid-19 dans le domaine de la propriété intellectuelle, selon l’OMC, « les membres de la Quad ont adopté une approche visant à identifier des moyens pratiques de clarifier et de simplifier la manière dont les gouvernements peuvent passer outre les droits en matière de brevet, dans certaines conditions, afin de permettre une diversification de la production des vaccins » anti-Covid.
Au mois de juin 2022, l’OMC a donnée l'autorisation aux pays en développement de lever, pendant cinq ans, les brevets sur les vaccins Covid sous certaines conditions. En fait, l’accord entérine le droit des pays en développement à accorder des licences de production à des fabricants locaux en se passant de l’autorisation des titulaires des brevets, mais uniquement pour les vaccins et pour une période limitée de cinq ans. Les tests et traitements thérapeutiques, qui constituent pourtant également des outils essentiels de lutte contre le virus, sont pour l’instant exclus.
Réactions ONG et Pharma
Les ONG trouvent l’accord trop restreint et ils appelaient depuis près de deux ans à des mesures beaucoup plus larges. « Nous sommes déçus qu’une véritable renonciation à la propriété intellectuelle, proposée en octobre 2020, couvrant tous les outils médicaux contre le Covid-19 et incluant tous les pays, n’ait pu être convenue, même pendant une pandémie qui a coûté la vie à plus de 15 millions de personnes », regrette Christos Christou, président international de Médecins sans frontières (voir https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/06/17/covid-19-accord-timide-sur-la-levee-des-brevets-a-l-omc_6130857_3244.html).
L’industrie pharmaceutique, elle, y voit un précédent dangereux pouvant ébranler ses investissements et ses investisseurs, donc le financement de l'innovation, et également inutile vu la récente surproduction mondiale de vaccins Covid et la distribution faite aux pays en voie de développement. En touchant aux droits de propriété intellectuelle, l’une des sources principales permettant le refinancement de l'innovation, la mesure fait trembler le secteur, qui surveille avec attention les retombées potentielles chez ses investisseurs.
Il y a certes un risque au niveau du financement de la recherche et du développement ai sein des entreprises, mais l’impact peut être plus large, il ne faut pas oublier que dans le cas des vaccins anti-Covid actuellement disponibles, les phases de développement ont aussi été financées des sources publiques et s’appuient en partie sur des recherches fondamentales conduites dans des laboratoires publics, avant ou pendant la crise sanitaire.
Le développement rapide des vaccins anti-Covid était bien entendu dans l’intérêt du monde entier et il s’agit d’une situation exceptionnelle à laquelle nous portons toute notre attention, tous les Etats n’étant pas pourvus de dispositifs légaux permettant d’opposer des limites à l’exclusivité conférée par les brevets, en particulier dans le domaine de la santé. Heureusement, la recherche est toujours libre, elle ne peut jamais être entravée par des brevets.
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Robert Balsters, Conseil en Propriété Industrielle en Brevets - Directeur du Département NTIC, Novagraaf Suisse.