Le nantissement de titre de propriété intellectuelle et ses enjeux

Par Rose-Marie Ehanno,
chute de la Silicon Valley Bank

La chute de la Silicon Valley Bank (SVB) en mars dernier a fait couler beaucoup d’encre dans les journaux nationaux mais aussi dans les journaux spécialisés en propriété intellectuelle. En effet, cette banque, était spécialisée dans les nouvelles technologies et travaillait avec de nombreuses start-ups. Elle détenait notamment des nantissements sur de nombreux brevets. L’article ci-dessous détaille ce qu’est un nantissement de brevet et quel impact la chute de SVB a eu sur les titulaires de brevets nantis par elle.

Qu’est-ce qu’un nantissement ?

Un nantissement est une forme de sûreté réelle, au même titre qu’un gage ou qu’une hypothèque, il permet de sécuriser un prêt. La différence entre ces trois régimes de sûreté réside dans la nature du bien concerné. En effet, dans le cadre d’un nantissement, le bien proposé en garantie n’est ni un bien immeuble, ni un bien corporel mais un bien incorporel. C’est-à-dire qu’il n’est pas possible de le voir ou de le toucher : c’est le cas des titres de propriété industrielle comme les brevets, les dessins ou modèles ou encore les marques.

Le Code civil le défini comme « l'affectation, en garantie d'une obligation, d'un bien meuble incorporel ou d'un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs » (art. 2355 Cciv.). Le régime du nantissement conventionnel (issu d’un contrat) est principalement régi par le Code civil (Cciv.), plus précisément, le régime applicable aux nantissements de titres de propriété intellectuelle sera celui des gages de meubles corporels ; le nantissement judiciaire (issu d’une décision de justice) est, lui, régi par le Code de procédure civile d’exécution. Dans les deux cas, il y a très peu de dispositions spécifiques aux titres de propriété industrielle, c’est donc le droit commun qui s’applique aux nantissements de ces titres, avec quelques particularités toutefois, elles seront explicitées ci-dessous.

L’intérêt du nantissement est d’obtenir un prêt bancaire dans de meilleures conditions sans pour autant perdre la jouissance du titre.

Illustration

Une société est titulaire de plusieurs brevets, elle souhaite emprunter à une banque pour développer un nouveau produit ; la banque lui demande une garantie afin de se prémunir contre une absence de remboursement. Un contrat de nantissement portant sur les brevets est alors conclu en parallèle du contrat de prêt. Pendant toute la durée du nantissement, la société peut continuer d’exploiter ses brevets et de revendiquer ses droits en cas de contrefaçon, toutefois, elle ne peut pas vendre ses brevets, ni les nantir à quelqu’un d’autre.

Arrivé au terme du contrat, deux hypothèses sont possibles :

  • soit la société a remboursé la banque dans les délais et conditions prévus, elle redevient alors pleinement propriétaire de ses brevets et peut en disposer comme elle le souhaite ;
  • soit la société n’a pas remboursé son prêt dans les conditions prévues, les brevets pourront alors être saisis par la banque qui en deviendra le titulaire (art. 2347 Cciv.) ou être revendus au profit de la banque (art. 2346 Cciv). Dans les deux cas, et si la valeur du brevet excède la valeur de l’impayé, la banque devra verser à la société une somme correspondant à la différence entre ces deux valeurs.

La nécessité de procéder aux inscriptions des nantissements

Afin de pouvoir revendiquer ses droits sur le ou les titres nantis, la banque devra faire inscrire ce nantissement auprès des registres nationaux des brevets, des marques ou des dessins ou modèles concernés par le nantissement (L613-9 Code de la propriété intellectuelle). En effet, l’inscription est l’acte qui rend le contrat opposable aux tiers et le Code civil précise d’ailleurs : « lorsqu'un même bien fait l'objet de plusieurs gages successifs sans dépossession, le rang des créanciers est réglé par l'ordre de leur inscription » (art. 2340 Cciv.).

Les particularités en matière de nantissement de brevets

Le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) donne quelques précisions en matière de nantissement de brevets. Dans l’hypothèse où coexistent en France un brevet ou une demande de brevet français et un brevet ou une demande de brevet européen « ayant la même date de dépôt ou la même date de priorité, couvrant la même invention et appartenant au même inventeur ou à son ayant cause » ces brevets et demandes de brevets « ne peuvent, pour les parties communes, faire l’objet indépendamment l’une de l’autre d’un […] nantissement […], à peine de nullité. » (L614-14 Code de la propriété intellectuelle).

Que s’est-il passé avec SVB ?

La Silicon Valley Bank (SVB) présente majoritairement aux Etats-Unis, mais ayant aussi des branches au Royaume-Uni et en Allemagne était spécialisée dans les nouvelles technologies et travaillait avec de nombreuses start-ups. Elle proposait des prêts aux start-ups et PME de la tech et afin de sécuriser ces prêts, elle a pu conclure un certain nombre de nantissements. Sa chute en mars dernier, comme celle du Crédit Suisse quelques jours plus tard, a provoqué l’inquiétude de nombreux clients qui risquaient de perdre leurs liquidités placées auprès de ces banques.

Finalement, en seulement quelques jours, l’ensemble des prêts et dépôts ont été rachetés par d’autres banques : la banque américaine First Citizen pour la maison mère SVB aux Etats-Unis, HSBC pour la branche londonienne ou encore UBS pour le Crédit Suisse. Le rachat de l’ensemble de l’actif et du passif de ces banques défaillantes signifie que les droits portant sur les titres de propriété industrielle nantis sont repris par leurs acquéreurs.

En Europe, où le nantissement de brevets est moins développé, l’un des rares registres des brevets en ligne permettant de vérifier quels sont les brevets nantis par une entité est le registre belge. Celui-ci ne dévoile qu’un seul brevet nanti au nom de « SILICON VALLEY BANK » ; avec les termes « CREDIT SUISSE » en revanche, 7 résultats apparaissent. Il est donc probable que ces banques détenaient aussi quelques nantissements sur d’autres brevets dans d’autres pays européens. Aux Etats-Unis au contraire, de nombreux brevets ont été nantis au profit de SVB. Le registre de l’USPTO recense plus de 3 000 brevets et demandes de brevet US nantis par SVB. Cette différence s’explique en partie par le fait que SVB ait essentiellement des clients américains, déposant des brevets US ; mais c’est aussi le signe de la différence des pratiques entre les Etats-Unis, où le financement se fait bien plus souvent par le biais de nantissements, et l’Europe où cette pratique n’est que peu développée et où l’importance de procéder aux inscriptions de ces droits n’est pas toujours connue.

Les entreprises ayant conclus des prêts, garantis par un nantissement de leurs titres de propriété industrielle, auprès de SVB ou du Crédit Suisse, devront maintenant continuer le remboursement auprès des organismes ayant racheté ces banques défaillantes. En cas d’absence de remboursement, ce sont ces organismes qui pourront saisir ou exiger la vente à leur profit des titres nantis afin d’être indemnisés.

Toutefois, le droit de nantissement ne sera opposable aux tiers qu’après l’inscription sur le registre des brevets ou des marques concernées, du transfert de ce droit de la banque défaillante vers la nouvelle banque.

Pour toute question en matière d’analyse de contrats de nantissements de brevets ou d’inscription de nantissements, n’hésitez pas à nous contacter ci-dessous.

Rose-Marie Ehanno, Juriste et Responsable du service Contrats et Inscriptions, Novagraaf, France

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