Marque et collectivité territoriale vs Nom de domaine : un combat légitime

L’importance des noms de domaine dans l’actif des sociétés est souvent largement sous-estimée, ce qui est évidemment une erreur !

Si un nom de domaine n’est pas un titre de propriété industrielle, il a été reconnu comme constituant un bien patrimonial immatériel (CEDH, 18 septembre 2007 – 25379/04) valorisé au bilan (instruction fiscale du 9 mai 2003, BOI 4 C-03).

Le nom de domaine vous ouvre un nouveau territoire puisqu’il vous permet d’avoir une activité sur le web et ses milliards d’opportunités. Toutes les entités ont donc intérêt à détenir un ou plusieurs noms de domaine (et de l’exploiter bien entendu) dans les extensions de leur intérêt.

Pour enregistrer un nom de domaine, rien de plus facile à première vue : l’enregistrement est automatiquement et systématiquement accordé au premier qui le demande selon la règle du « premier arrivé, seul servi » et les prix sont globalement très accessibles.

Par conséquent, il est également très fréquent de se voir cybersquatté. Heureusement, la réglementation offre un cadre afin de lutter contre le cybersquatting, puisque l’article L. 45-2 du Codes des postes et des communications électroniques prévoit des cas où l’enregistrement ou le renouvellement d’un nom de domaine peut être refusé (ou un nom supprimé) :

  • si ce nom est susceptible de porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi ;
  • s’il est susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ;
  • s’il est identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi.

Dans une affaire récente de la cour de cassation, mettant fin à des années de litige entre une web agency et le département de la Saône et Loire, deux de ces points ont été mis en avant (contrefaçon de marque et atteinte à une collectivité territoriale), autour de la question centrale en matière de noms de domaine : l’intérêt légitime et la bonne foi.

La société Dataxy - notamment spécialisée dans le géo-référencement sur toute la France de sites internet, a réservé en 2004 les noms de domaine <saoneetloire.fr> et <saone-et-loire.fr>, régulièrement renouvelés depuis lors.

Le département de Saône et Loire, qui n’avait alors sur son nom aucun titre de propriété industrielle, a contacté la société Dataxy en 2006 pour tenter de récupérer ces noms de domaine qui intégraient le nom de la collectivité territoriale, mais s’est heurté au refus de ce dernier.

Le département a finalement déposé la marque semi-figurative française en 2011, puis enregistré le nom de domaine saôneetloire.fr en avril 2012 :

Saône et Loire marque

Quelques mois plus tard, Dataxy a bénéficié de la réservation prioritaire accordée aux titulaires d'un nom de domaine sans accent pour enregistrer son équivalent accentué et a ainsi enregistré le nom de domaine <saône-et-loire.fr>.

Le département reprend alors ses démarches auprès de Dataxy afin de récupérer les désormais trois noms qu’elle détient, sans plus de succès, et s’adresse alors à l’Afnic pour résoudre le litige dans le cadre de la procédure Syreli.

Le département obtient par cette voie le transfert du nom de domaine litigieux <saône-et-loire.fr> mais se voit étonnamment refuser celui des deux premiers noms enregistrés par Dataxy.

Il apparaît que le nom de domaine <saône-et-loire.fr> n’était pas exploité, tandis que les deux autres noms de domaine étaient exploités, ce qui a probablement faussé le jugement du Collège Syreli.

Heureusement, le département a saisi le TGI de Nanterre qui a ordonné le transfert à son profit des 3 noms de domaine litigieux, décision confirmée d’abord par la cour d’appel de Versailles puis la Cour de cassation dans son arrêt du 5 juin 2019.

Les instances judiciaires ont reconnu, aux trois niveaux, que la société Dataxy n’avait aucun intérêt légitime à détenir les noms de domaine litigieux dans la mesure où elle ne démontrait pas une exploitation dans le cadre d’offres de services en lien avec le département de Saône-et-Loire. Il s’agissait en effet de sites renvoyant par des liens hypertextes, vers des sites sans aucun lien avec le département.

La société Dataxy a en conséquence perdu ses trois noms de domaine, et s’est vue condamnée à verser au département la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marque, et de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice subi au titre de l'atteinte portée au nom de cette collectivité territoriale.

Il paraît invraisemblable de voir une telle affaire monter jusqu’en cassation, alors même que l’atteinte paraît évidente du fait de la reproduction du nom du département et des éléments dominants de la marque, associée à l’absence d’usage en rapport avec le département.

Néanmoins, un arrêt de cassation est toujours utile pour rappeler à tous que le web et dans ce cas précis, les noms de domaine, ne sont pas dans une zone de non-droit et que le respect des droits des tiers doit toujours prévaloir.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à tm.fr@novagraaf.com

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