Mise en conformité de la description avec les revendications modifiées

Jusqu'à présent, de nouvelles directives étaient publiées par l'OEB presque tous les ans, en novembre, tel un vin primeur, mais 2021 n’étant décidément pas une année comme les autres, nous avons une nouvelle mouture des directives publiées en février et entrant en vigueur le 1er mars.

L'une des principales modifications apportées dans ces directives réside dans le renforcement des exigences d'alignement des revendications proposées à la délivrance et de la description, sur la base de l'article 84 CBE relatif à la clarté.

Une nouvelle section H-V-2.7 est ajouter pour souligner que l'alignement de la description avec les revendications modifiées est une exigence impérative.

« La description doit être mise en accord avec les revendications modifiées en procédant aux modifications nécessaires pour remplir les conditions énoncées aux points F‑II, 4.2, F‑IV, 4.3 iii) et F‑IV, 4.4. »

Certaines de ces exigences sont connues, et la plupart des demandeurs s'y sont habitués.

F-II 4.2 exige d'adapter le "Résumé de l'invention" aux revendications proposées à la délivrance. En d’autres termes, les amendements apportés aux revendications durant la procédure doivent être répercutés dans cette section qui comporte habituellement une copie verbatim des revendications. Dans certains cas, cette copie peut être simplement supprimée et remplacée par une référence aux revendications.

C'était déjà la pratique habituelle, mais les nouvelles directives le précisent plus clairement :

« Si des revendications sont modifiées, il se peut que le "domaine de l'invention" et le "résumé de l'invention" doivent également être modifiés afin de correspondre aux revendications. Selon le cas, une formulation comme "l'invention est exposée dans le jeu de revendications joint" peut être utilisée au lieu de répéter les revendications mot pour mot. »

F-IV 4.4 exige notamment la suppression de clauses telles que "l'esprit de l'invention", et d'autres indications qui peuvent être interprétées comme un élargissement de la portée du brevet au-delà de ce qui est réellement revendiqué.

Les clauses ressemblant à des revendications doivent également être supprimées. C'était déjà le cas, mais les nouvelles lignes directrices donnent plus de substance aux raisons sous-jacentes de ces exigences.

Jusqu'à présent, ces diverses adaptations étaient généralement proposées par l'examinateur avec la communication au titre de l'article 71, paragraphe 3, avec le "Drückexemplar", et ne représentaient en général qu'une faible charge pour le demandeur.

Toutefois, une nouveauté réside dans les directives H-V-4.3 qui stipulent que

« Toute discordance entre la description et les revendications doit être évitée, si elle est susceptible d'engendrer un doute quant à l'étendue de la protection, au point que la revendication devient obscure, ou qu'elle n'est pas fondée sur la description conformément à l'article 84, deuxième phrase ou encore qu'elle appelle des objections au titre de l'article 84, première phrase. Une telle discordance peut revêtir les formes suivantes : »

Les Directives énumèrent ensuite 4 situations (avec des détails omis dans ce qui suit) :

  1. Simple discordance de termes
  2. Discordance relative à des caractéristiques apparemment indispensables
  3. Une partie de l'objet de la description et/ou des dessins n'est pas couverte par les revendications
  4. Clauses semblables à des revendications

La section (iii) est la plus touchée par les modifications des directives et aura probablement l'impact le plus important pour les demandeurs.

En particulier,

« Les modes de réalisation exposés dans la description qui ne sont plus couverts par les revendications indépendantes doivent être supprimés (par exemple, si la description comprend une variante pour au moins une caractéristique qui n'est plus couverte par les revendications modifiées), à moins que ces modes de réalisation puissent raisonnablement être jugés utiles pour mettre en relief des aspects spécifiques des revendications modifiées. »

En d'autres termes, avant la délivrance, le demandeur doit se soumettre à une étude complète de la description pour déterminer si chaque élément écrit est couvert par les revendications.

Dans de nombreux cas, la décision peut être simple, mais dans d'autres cas, la distinction entre ce qui est couvert et ce qui ne l’est pas peut-être assez ambiguë.

En tout état de cause, l'analyse doit être effectuée en pleine connaissance de l'objet de l'invention, alors qu'à ce stade avancé de la procédure, le mandataire responsable peut avoir changé depuis la rédaction et les premières étapes de la procédure. Cela peut donc impliquer une redécouverte complète de l’historique du dossier, et un impact économique pour les demandeurs.

En outre, une attention particulière doit être portée en ce qui concerne la conformité des amendements aux exigences non seulement de l'article 84, mais aussi de l'article 123(2), tout en gardant un œil sur les implications pour la valorisation du brevet et en vue de litiges potentiels dans diverses juridictions.

En particulier, on peut s’interroger sur la connexion de ces exigences avec l'article 69 CBE, celui-ci laissant une marge d'interprétation aux juges entre une lecture verbatim de la revendication ou une utilisation de "l'idée centrale" de l'invention telle que ressortant de l'ensemble de la demande, lors de l'évaluation de la portée d'une revendication. Les nouvelles exigences, en supprimant toute divergence entre les revendications et la description, semblent supprimer une partie du pouvoir d'interprétation des juges, et ainsi réduire la portée de l'article 69 CBE.

Encore une fois, jusqu'à récemment, quelles que soient les exigences, les examinateurs faisaient un premier pas précieux en proposant les modifications requises aux documents du brevet lors de la communication selon l'article 71(3).

Selon les nouvelles directives, cet âge d'or pourrait bien être révolu puisque les nouvelles formulations font peser explicitement la responsabilité de cette mise en conformité sur le demandeur et le menacent d'une sanction majeure : la procédure orale !

En effet, le deuxième paragraphe de la toute nouvelle section H-V, 2.7 indique :

« Si le demandeur n'apporte pas les modifications nécessaires à la description alors qu'il y a été invité, la division d'examen émet la citation à une procédure orale comme prochaine action

Jusqu'à présent, l'impact de ces nouvelles directives semble limité à l’insertion de paragraphes standards (« boilerplates ») dans les Communications de la Division d’Examen.

Généralement, une nouvelle section relative à l'article 84 CBE apparaît dans un certain nombre de communications, soulignant simplement les exigences de mise en conformité de la description avec toute modification des revendications.

Mais il est encore trop tôt pour savoir à quel point l'examinateur sera strict lorsqu'il appliquera ces directives pour sortir le carton rouge de la procédure orale.

En particulier, il n'est pas encore clair ce qui déclenchera la convocation : si la dernière soumission à l'OEB est convaincante et permet à l'examinateur de délivrer le brevet, serait-il nécessaire de convoquer le demandeur à la procédure orale afin de le forcer à mettre la demande en conformité avec ces "nouvelles" exigences ?

Le demandeur serait-il censé modifier la Description à chaque fois qu'il soumet un jeu de revendications modifié, puisqu'il est "invité à le faire" par les énoncés standards répétés dans les Communication ?

On peut bien sûr espérer une approche plus pragmatique, mettant en balance la nécessité de délivrer des brevets de haute qualité et la charge supplémentaire imposée au demandeur.

N’hésitez pas contacter nos équipes pour tout renseignement concernant la procédure européenne et l’évolution de cette problématique.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à pat.fr@novagraaf.com.

Sylvain Chaffraix, Responsable de l’équipe « Nouvelles Technologies de l’Information », Conseil en Propriété Industrielle - Brevets, Novagraaf, France.

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