Ordre public : l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs…

Par Anna Di Grezia,

Par un arrêt en date du 12 mai 2021, le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) rejette le recours formé contre la décision rendue par la Chambre de recours de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), confirmant ainsi le rejet de la demande d’enregistrement de marque portant sur le signe semi-figuratif BavariaWeed au motif que le signe est contraire à l’ordre public.

La demande de marque a été déposée sous la forme suivante :

Marque Bavaria Weed

pour les services relevant des classes 35, 39, 42 et 44 en relation notamment avec la commercialisation de cannabis à usage thérapeutique et la recherche et développement de médicaments et produits pharmaceutiques. Cette demande est constituée des termes « Bavaria Weed » que l'on peut traduire par « herbe de Bavière », associés au dessin stylisé d'un lion tenant une feuille de cannabis.

La chambre de recours de l’EUIPO considère que le mot « weed », renvoie à la marijuana en tant que stupéfiant, et non en tant que substance à usage thérapeutique, et que, par conséquent, la demande de marque promeut la consommation de stupéfiants récréatifs. Le TUE confirme la décision de la chambre de recours de l’EUIPO et conclut que le signe « Bavaria Weed » est contraire à l’ordre public, validant ainsi un raisonnement qui prend en compte l’examen du contexte social dans lequel s’inscrit l’usage du signe.

Les points principaux de la décision sont exposés ci-après.

Les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs sont refusées à l’enregistrement, même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union européenne. L’appréciation de la notion d’ordre public ou de moralité doit être faite sur la base des critères d’une personne raisonnable ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance. A cette fin, le public pertinent ne doit pas être limité au public visé par les produits ou services couverts par la demande d'enregistrement, mais il comprend également les consommateurs susceptibles d'être confrontés à la marque dans le cadre de leur activité quotidienne, soit le grand public. 

Ainsi, l’adoption du terme « weed », qui dans sa définition argotique signifie «marijuana», associé à la représentation graphique d’une feuille de cannabis renvoie au symbole médiatique de la marijuana en tant que substance psychoactive et fera incontestablement penser à l’usage récréatif de cette substance, prohibée dans de nombreux États membres.

Le Tribunal précise que le simple fait que les services concernés par le signe en cause seraient légaux, n’est pas susceptible d’altérer la perception du signe par le public pertinent et que le fait d’associer le terme « weed » à des services de nature thérapeutique risque de banaliser, voire d’officialiser l’usage de ce terme en lui octroyant une protection juridique pour lesdits services, ou encore de donner l’impression que la consommation et la production des substances stupéfiantes sont tolérées ou encouragées. Le Tribunal distingue ainsi l'effet négatif sur la société généré par le signe lui-même de la licéité des produits ou services fournis sous cette marque.

Partant de ces considérations, le signe en cause ne sera pas perçu comme faisant référence à l’usage thérapeutique du cannabis, mais comme évoquant l’usage récréatif de la marijuana, avec la conséquence d’être perçu par le public pertinent comme encourageant, promouvant ou, à tout le moins, banalisant la consommation de marijuana, alors que cette substance est interdite et illégale dans de nombreux États membres de l’UE.

Le Tribunal rappelle que la règlementation sur la marque de l’Union européenne ne contient pas de définition précise sur la notion d’« ordre public » et il reconnaît que les exigences en la matière peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre. Les États membres restent libres de protéger les intérêts qu’ils considèrent fondamentaux selon leurs propres systèmes de valeurs et de déterminer le contenu de ces exigences conformément à leurs besoins nationaux. Néanmoins, une prohibition fondée sur l'ordre public est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union européenne.

Le Tribunal souligne que la contrariété d’un signe à l’ordre public n’est pas limitée aux seuls signes susceptibles de choquer ou d’offenser le public pertinent mais s’applique également à ceux qui sont de nature à encourager, à promouvoir ou à banaliser une atteinte à un intérêt que l’État membre concerné considère comme fondamental selon son propre système de valeurs.

Ainsi, dans le cas en espèce, cette interdiction tend à protéger un intérêt fondamental pour les États membres, celui de la lutte contre la propagation de la marijuana et le trafic de drogues, répondant à un objectif de santé publique.

Par conséquent, le régime applicable à la consommation et à l’utilisation de ladite substance relève de la notion d’« ordre public » pris en tant que principe général du droit européen et qui s’abstrait donc des situations nationales.

En conclusion, Le Tribunal faisant référence à l’examen du contexte social et règlementaire dans lequel s’inscrit l’usage du signe en cause, souligne qu’à l’heure actuelle, même si la législation de quelques Etats membres a déjà évolué ou est en train d’évoluer, il ne se détache pas de consensus dans l’Union européenne concernant la licéité de l’usage ou de la consommation de produits issus du cannabis ayant une teneur en tétrahydrocannabinol (THC) supérieure à 0,2 %, que ce soit à des fins thérapeutiques ou à des fins récréatives.

L’usage thérapeutique du cannabis demeure donc un sujet controversé.

[Arrêt Trib. UE, 12 mai 2021, aff. T-178/20, Bavaria Weed GmbH c/ EUIPO]

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à tm.fr@novagraaf.com. 

Anna Di Grezia, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France

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