"Fack Ju Göhte" - Application de l’interdiction des signes contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Le droit des marques est un exercice d’équilibre entre diverses prérogatives que sont le besoin légitime d’un opérateur d’identifier l’origine de produits et services qu’il propose, la liberté d’expression, la liberté du commerce ainsi que l’ordre public et les bonne mœurs.

Cette notion d’ordre public est de bonne mœurs est une des moins discutées par la doctrine et la jurisprudence, davantage occupées par les sujets rois que sont la distinctivité et le risque de confusion.

Une décision intéressante a été rendue le 27 février 2020 par la Cour de Justice de l’Union Européenne sur l’application de l’article du Règlement sur la marque européenne dédié à l’ordre public, à savoir 7.1.(f), selon lequel sont refusées à l’enregistrement les « marques contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs ». Il s’agissait de l’application de cet article sous l’empire du Règlement n° 207/2009 du 26  février 2009 mais sa rédaction est restée la même dans le règlement en vigueur (EU)  2017/1001.

Le signe nous intéressant ici est « Fack Ju Göhte », pouvant être traduit depuis la langue de ce philosophe vers celle de Molière en « Goethe peut aller se faire voir» ou plus simplement «Fuck you Goethe » en anglais.

Ce signe constituait avant toute chose le titre d’un film ayant connu un énorme succès en Allemagne et en Autriche. Avec plus de 7 millions d'entrées, c'est le film qui a totalisé le plus d’entrée en Allemagne en 2013 et il figure dans le top 50 du box-office depuis 1968 dans ce pays. Deux suites en sont issues, les bien nommés Fack Ju Göhte 2 et Fack Ju Göhte 3.  C’est légitimement que le producteur a voulu renforcer la protection sur le signe en cause via le dépôt d’une marque de l’Union Européenne.

L’EUIPO en 2015, la cinquième chambre de recours en 2016, puis le Tribunal de l’Union Européenne en 2018 ont été constants dans leur refus de cette marque sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Le déposant, Constantin Film Produktion, est tout de même allé au bout de sa démarche, sans insulter pour autant l’EUIPO, en saisissant la Cour de Justice.

La CJUE a fait droit à la demande du déposant en annulant la décision du Tribunal.

Le grief principal fait à la décision de 2018 est d’avoir fait une analyse « hors sol » de la notion d’ordre public et de bonne mœurs. La Cour considère que le Tribunal aurait du apprécier in concreto la marque en tenant compte du public pertinent et du contexte social.

Ainsi les juges ont estimé ici que le public germanophone (ici pertinent) contemporain ne saurait considérer le vocable en cause comme allant à l’encontre des valeurs et des normes morales de la société telles qu’elles existent à ce moment.

Pour fonder sa décision, la Cour fait référence à trois éléments factuels attestant, selon elle, que le signe Fack Ju Göhte est considéré comme moralement acceptable :

  • aucune controverses n’a émaillé la sortie des films
  • ces comédies n’ont fait l’objet d’aucune restriction quant à l’âge du public
  • elles ont même été utilisées à des fins pédagogiques par l’Institut Goethe

A noter également que la Cour a rappelé que la notion d’ordre public et de bonne mœurs est distincte de celle de mauvais gout ou de vulgarité et que la renommée d’une marque ne permet en aucun cas de surmonter une atteinte à l’article 7.1.(f), afin de répondre à l’un des arguments du déposant.

L’EUIPO devra donc revoir sa copie et se pencher à nouveau sur la licéité de cette marque.

Gabriel Perez, Conseil en Propriété Industrielle - Marques, Novagraaf Belgique

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