La double protection par brevet

Door Martin Kohrs,

Une décision intermédiaire d’une Chambre de Recours T 318/14 soumettant une liste de questions portant sur la double protection par brevet à la Grande Chambre de Recours (sous le numéro G 4/19) est récemment parue au Journal Officiel de l’Office Européen des Brevets et a généré nombre de commentaires de la part de tiers intéressés. C’est un bon moment pour faire un point sur cette question.

La double protection par brevet, qu’est-ce que c’est ?

Stricto sensu, il s’agit du cas où un premier brevet a été délivré pour une invention, et qu’il existe une seconde demande avec des revendications ayant même objet, même demandeur, désignant les mêmes pays et bénéficiant de la même date effective pour déterminer l’état de la technique opposable.

Quelle est la position de l’OEB ?

La Convention de Munich ne contient pas de disposition réglant la question de manière explicite. Tout au plus, l’article 139 indique que chaque état membre pourra décider s’il autorise ou non le cumul des protections d’un brevet national et d’un brevet européen désignant ce pays. En France, ce cumul n’est pas admis.

L’approche de l’OEB a été définie par la jurisprudence. Les décisions phares sont celles de la Grande Chambre de Recours G 1/05 et G 1/06: la Grande Chambre a limité de façon conséquente le cadre dans lequel l’Office peut rejeter une demande pour cause de double protection, en indiquant ‘La Grande Chambre admet que le principe d’interdiction de la double protection par brevet est fondé sur le fait qu’un demandeur n’a pas d’intérêt légitime à voir une procédure aboutir à la délivrance d’un deuxième brevet pour le même objet que celui qui lui a déjà été délivré’.

La notion d’intérêt légitime ainsi introduite a servi de référence pour déterminer dans nombre de cas si l’on pouvait délivrer un brevet sur base de revendications - plus ou moins - proches de revendications déjà délivrées.

En particulier, la Grande Chambre de Recours, dans sa décision G 2/10, a considéré légitime qu’un demandeur cherche dans un premier temps à obtenir une protection pour un mode de réalisation préféré puis revendique l’enseignement général dans une demande divisionnaire.

Concernant la notion de ‘même objet’, qui doit être appréciée au cas par cas, il a été décidé dans T1391/07 qu’une objection de double brevetabilité ne peut être soulevée pour des protections se recouvrant partiellement.

Que peut venir apporter la décision G 4/19 ?

Un point intéressant du débat concerne justement la notion d’intérêt légitime. Dans le cas d’espèce, le demandeur avait déposé une première demande européenne dont il avait revendiqué la priorité ‘interne’ dans une seconde demande. Un premier brevet avait été délivré sur base de la première demande. Le demandeur souhaitait également la délivrance du second brevet - avec des revendications identiques en tout point à celles du premier brevet - en justifiant son intérêt légitime comme résidant dans le fait que le second brevet viendrait à expiration plus tard que le premier.

Or, justement, deux décisions de chambres de recours (T 1423/07 et T 2461/10) ont émis des avis divergents sur l’intérêt légitime dans ce cadre…

Il sera intéressant de savoir ce que la Grande Chambre dira sur ce point.

Quel intérêt d’avoir plusieurs demandes autour d’une même invention ?

Au-delà du cas très spécifique de deux brevets européens ayant des revendications identiques, même date effective et même titulaire, déposer deux demandes de brevet - ou plus - ayant des portées de protection complémentaires ou qui se recoupent permet des approches stratégiques flexibles.

  • Il peut être utile de mener rapidement à la délivrance la première demande avec des revendications de portée limitée, quitte à tenter d’obtenir une protection plus large avec la seconde demande - si l’on obtient un second brevet, on pourra laisser choir le premier pour limiter les coûts
  • Dans la même lignée, il peut être utile d’obtenir un premier brevet, puis au contraire de ralentir la procédure de délivrance de la seconde demande pour évaluer l’évolution du marché et adapter la portée des revendications, tout en bénéficiant de la protection accordée par le premier brevet
  • Plus spécifiquement pour les inventions liées à des standards industriels qui sont données en licence via un ‘patent pool’, le partage des revenus entre titulaires est souvent lié au nombre de brevets. Disposer le plusieurs titres, même de portée proche, peut dans ce cas permettre d’optimiser les revenus.

Selon les besoins, le dépôt de plusieurs demandes peut se faire simultanément (le même jour) ou en déposant des demandes divisionnaires au fur et à mesure des besoins, ou encore en maintenant une première demande européenne (demande prioritaire) et une seconde demande européenne revendiquant la priorité de la première.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à pat.fr@novagraaf.com.

Martin Kohrs, Conseil en Propriété Industrielle – Brevets, Novagraaf, France

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