Arrêt Hermès vs Mason Rotschild : contrefaçon de marque ou liberté d’expression ?
Dans une affaire opposant la Maison Hermès International, à l’artiste américain Mason Rothschild, un jury fédéral s'est prononcé en faveur de la célèbre marque de luxe dans son procès concernant une œuvre d'art numérique composée de jetons non fongibles nommés « MetaBirkins » reproduisant des images de son emblématique sac à main du même nom.
Plus précisément, le jury a estimé que l’artiste était à ce titre responsable de contrefaçon de marque, de dilution et de cybersquattage. L’apport important de cette décision réside dans le rejet par le jury de la défense selon laquelle l’usage de la marque par l’artiste était protégé par les dispositions du premier Amendement de la Constitution américaine au titre de la liberté d’expression.
Contexte factuel du litige de l’affaire Hermès International vs Mason Rothschild :
En décembre 2021, un artiste américain, Mason Rothschild (le « Défendeur »), créa une collection de jetons non fongibles (NFT) à l’effigie de l’emblématique sac Birkin de la maison Hermès. Il vendit par la suite les droits d’acheter ces NFT nommés « MetaBirkins » à une centaine d’acheteurs sur le site metabirkin.com, avant même que ceux-ci ne soient créés et implémentés sur une blockchain. Chaque NFT était par la suite associé à une image unique du sac.
Le succès de ces NFT fut tel qu’en juin 2022, l’artiste en avait déjà vendu une centaine pour un total de plus d’un million de dollars.
Après l’envoi d’une lettre de mise en demeure à Mason Rothschild demeurée infructueuse, Hermès International et Hermès of Paris, Inc. ("Hermès" ou « Demandeur ») ont intenté une action en référé à son encontre le 14 janvier 2022 devant un tribunal fédéral de New-York. Au soutien de sa plainte, le Demandeur accusait l’artiste de contrefaçon de marque, dilution, concurrence déloyale et cybersquattage et réclamait à ce titre une injonction préliminaire visant à faire cesser la vente de ces NFT, ainsi que des dommages-intérêts. La célèbre Maison de luxe alléguait notamment que la vente des NFT « MetaBirkins » lui avait causé un désavantage compétitif dans la course à l’investissement du marché des NFT, limitant par conséquent leur potentiel d’en faire profit.
En réplique, le Défendeur invoquait notamment l’argument selon lequel les plaintes d'Hermès pour contrefaçon de marque et dilution devraient être rejetées dans la mesure où les "représentations fantaisistes de sacs Birkin et l'identification de ces œuvres d'art en tant que "MetaBirkins" constituaient une œuvre purement artistique qu'il n'y avait "rien d'explicitement trompeur ni dans les représentations de sacs Birkin, ni dans son utilisation du nom "MetaBirkins" en tant que titre de son projet artistique, sur son site web et ses réseaux sociaux".
Les NFT « MetaBirkins » constituent-ils une œuvre d’art susceptible d’être protégée à ce titre par la liberté d’expression ?
Depuis 1989 et l’arrêt Rogers v. Grimaldi, la jurisprudence américaine confère aux œuvres satisfaisant à un « seuil de pertinence artistique minimale » une protection renforcée au titre de la liberté d’expression. Plus précisément, pour bénéficier de cette protection, la reprise d’une marque doit avoir une pertinence artistique par rapport à l'œuvre sous-jacente, ou ne pas explicitement induire en erreur quant à la source de l'œuvre.
A l’inverse, concernant les œuvres vouées à une exploitation commerciale, l’examen classique du risque de confusion quant à l’identification de l’origine de l’œuvre, tel que consacré dans l’arrêt Gruner + Jahr USA v. Meredith Corp. rendu en 1992, doit s’appliquer.
En l’espèce, Hermès soutenait que l’artiste américain ne poursuivait aucun but d’expression artistique, mais était plutôt à la recherche d’une finalité commerciale. Pour sa défense, l’artiste alléguait que derrière les NFT « MetaBirkins » se cachait une réelle intention artistique visant à véhiculer un message au sujet de l’influence du célèbre sac sur la société moderne et à dénoncer l’usage de la fourrure par l’industrie du luxe. Selon lui, le test de l’arrêt Rogers v. Grimaldi devait donc s’appliquer.
Verdict du litige de l’affaire Hermès International vs Mason Rothschild
Au terme de plusieurs échanges de conclusions entre les parties, les juges de la Cour de district des États-Unis du Sud de New York devant laquelle l’affaire avait été renvoyée, ont finalement rejeté les requêtes respectives des parties de juger l’affaire en référé. En effet, il demeurait un débat factuel sur la question de savoir si la décision de Rothschild d'axer son travail sur le sac Birkin découlait d'une véritable expression artistique ou plutôt d'une intention illégale de tirer profit de la célèbre marque. Les juges ont alors préféré « botter en touche » et remettre le sort des parties entre les mains d'un jury fédéral dans la mesure où « des individus raisonnables pourraient parvenir à des conclusions différentes sur le facteur "pertinence artistique" ».
Par son verdict du 8 février 2023, le jury a finalement reconnu Mason Rothschild coupable de contrefaçon de marque, de dilution et de cybersquattage, n’ayant pas été convaincus par les arguments de l’artiste relatifs à la liberté artistique. Au contraire, le jury a considéré que celui-ci avait sciemment cherché à tromper les consommateurs et cherchait en réalité à poursuivre un but purement financier. L’artiste a été condamné à ce titre à verser à la Maison Hermès 133 000 dollars de dommages-intérêts.
L’autre apport important de cette décision est qu’en outre, le verdict souligne que l’application du premier Amendement protégeant la liberté d’expression n'exclut pas toute responsabilité.
Cette décision, parmi les premières en matière de NFT, constituera sans nul doute un précédent important pour de futures affaires similaires dans ce domaine.