Certificats complémentaires de protection et brevets de base
Pour que des certificats complémentaires de protection (CCP) puissent être délivrés dans l'UE, ils doivent être fondés sur un brevet de base. Lise Luciani examine cette condition dans le contexte d'un récent arrêt français.
Un certificat complémentaire de protection (ou CCP) est, dans les pays de l'Union européenne, un titre de propriété industrielle spécial qui prolonge la durée d'un brevet pharmaceutique ou phytopharmaceutique. Ce titre a été instauré au début des années ‘90, afin d’encourager la recherche, notamment pharmaceutique, et de permettre un amortissement des investissements réalisés par l’industrie pharmaceutique, souvent très conséquents, pour mettre un médicament sur le marché.
Certificats complémentaires de protection : des critères de délivrance déterminés par la Cour de justice de l'Union européenne
Dans le cas d’espèce, un CCP a été demandé à l’INPI pour le produit atezolizumab, un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine PD-L1 (« Programmed death-ligand 1 »), cette protéine jouant un rôle important dans le phénomène d'échappement tumoral.
La demande de CCP avait été présentée sur la base d’un brevet européen intitulé « nouvelles molécules B7-4 et leurs utilisations », déposé en 2000, dont les revendications portent sur des anticorps anti-PD-L1 ainsi que sur leur utilisation dans la modulation d'une réponse immunitaire chez un sujet. En effet, le brevet est fondé sur la découverte d'un antigène et décrit la protéine B7-4 (PD-L1) comme une protéine impliquée dans la prolifération des cellules T et la modulation des réponses immunitaires. Si des revendications anti-PD-L1 sont revendiqués de manière générique, il n’y a aucun exemple concret d’anticorps qui aurait été réalisé.
Or, il est important de rappeler que dans les Etats membres de l’Union européenne, pour obtenir un CCP, le produit objet de la demande de CCP doit notamment être protégé par un brevet de base en vigueur. Cette condition peut paraître simple de prime abord, mais elle soulève en réalité de nombreuses questions en pratique.
Notamment, la problématique posée par le cas d’espèce pour l’interprétation de cette règle réside en ce que l’anticorps y est défini de manière fonctionnelle, c’est-à-dire uniquement par sa liaison spécifique avec un antigène, et non par sa structure.
Ce type de définitions fonctionnelles étant souvent rencontrées dans les brevets, de nombreuses décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sont venues préciser différents aspects de cette règle, afin de permettre aux offices de propriété industrielle des Etats membres de l’Union européenne de l’appliquer.
Notamment, l’arrêt Royalty Pharma rendu en 2020 précise que, pour déterminer si un produit est protégé par le brevet de base, il convient de vérifier, lorsque ce produit n'est pas explicitement mentionné dans les revendications, s’il est nécessairement et spécifiquement visé dans l'une de ces revendications. À cette fin, deux conditions cumulatives doivent être remplies :
1) Le produit doit nécessairement relever, pour l'homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l'invention couverte par le brevet,
2) L 'homme du métier doit être en mesure d'identifier ce produit de façon spécifique à la lumière de l'ensemble des éléments divulgués par le brevet, et sur la base de l'état de la technique à la date de dépôt ou de priorité.
Afin de déterminer si la seconde de ces conditions est satisfaite, la Cour de justice préconise de rechercher si l’objet du CCP est compris dans les limites de ce que l'homme du métier est objectivement en mesure, à la date de dépôt ou de priorité, de déduire directement et sans équivoque du fascicule du brevet tel qu'il a été déposé, en se fondant sur ses connaissances générales dans le domaine considéré et à la lumière de l'état de la technique, à cette date.
Certificats complémentaires de protection : L'arrêt atezolizumab
Dans le cas présent, l’INPI a rejeté la demande de CCP, au motif que le produit objet de la demande de CCP ne serait pas protégé par le brevet de base. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Paris (Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 mai 2023, 21/17890), qui a considéré que le principe actif atezolizumab n’était pas spécifiquement visé par le brevet de base.
La Cour d’appel a considéré que, si l'atezolizumab relève bien de la définition fonctionnelle couverte par le brevet de base, il n'est pas démontré que l'homme du métier se trouvait en mesure, à la date de dépôt ou de priorité, d'identifier l'atezolizumab, un anticorps monoclonal humanisé, anti PD-L1, de type IgG1 à Fc modifié, produit dans des cellules d'ovaire de hamster chinois par la technique d'ADN recombinant, de façon spécifique, au vu des enseignements du brevet, et sur la base de l'état de la technique à cette date.
Si le brevet mentionne bien des protocoles génériques permettant de fabriquer des anticorps, il vise à la fois les anticorps chimériques et les anticorps humanisés, et n'enseigne pas à l'homme du métier la direction dans laquelle il doit orienter ses recherches, alors que des travaux de recherche sont nécessaires pour parvenir aux anticorps monoclonaux humanisés anti PD-L1 ayant un effet thérapeutique, et qu’il n'est pas démontré qu'il s'agit pour l'homme du métier d'une simple opération de routine.
La Cour d’appel précise qu’il ne peut être soutenu utilement que l'absence de description explicite, dans le brevet de base, de ces différentes étapes, s'explique par le fait qu'il s'agit de méthodes de biologie moléculaire usuelles qui font partie des connaissances générales de l'homme du métier.
En revanche, le brevet européen portant sur l'identification spécifique de l'atezolizumab, qui a été déposé par une société tierce plus de neuf ans après la date de priorité du brevet de base invoqué, et le brevet américain correspondant peuvent constituer un indice de la complexité des recherches à effectuer pour aboutir à cet anticorps humanisé et de l’activité inventive autonome au terme de laquelle il a été développé.
Cette décision montre donc un exemple d’application par l’INPI et la Cour d’appel des critères définis par la CJUE pour la délivrance des CCP.
N’hésitez pas à faire appel aux Conseils en propriété industrielle de Novagraaf Technologies ci-dessous pour évaluer les chances de délivrance d’un CCP, et pour constituer vos dossiers de demandes de CCP auprès des offices nationaux de propriété industrielle de l’Union Européenne.
Lise Luciani est Conseil en Propriété Industrielle et Mandataire Européen en Brevets, Novagraaf, Marseille.