La divulgation destructrice de nouveauté d'un dessin et modèle communautaire

Par Alexis Thiebaut,

Suite à l'arrêt du 27 février 2020, le Tribunal de l'Union Européenne tient à rappeler aux déposants de dessins et modèles communautaires qu'il convient d’effectuer une analyse en deux étapes. Alexis Thiebaut, Conseil en Propriété Intellectuelle, vous les explique dans cet article.

Le Tribunal de l’Union Européenne, dans un arrêt du 27 février 2020 (T-159/19, EU:T:2020:77, Bog-Fan sp. z.o.o. sp.k. c/ EUIPO et Fabryki Mebli « Forte » S.A.), s’est prononcé  sur la validité d’un dessin et modèle communautaire enregistré, considéré comme divulgué antérieurement à son dépôt par une société tierce.

Cet arrêt permet d’effectuer un certain nombre de rappels utiles aux déposants de dessins et modèles communautaires.

Les faits étaient les suivants :

Le 17 septembre 2013 la société polonaise Fabryki Mebli « Forte » S.A. a procédé au dépôt d’un dessin ou modèle communautaire représentant une armoire :

armoire société polonaise Fabryki Mebli « Forte »

Ce dessin et modèle a été enregistré par l’EUIPO en date du 17 septembre 2013, sous le numéro 001384002-0034.

Le 14 mars 2016 la société polonaise Bog-Fran sp. z o.o. sp.k. a déposé une action en nullité contre ce dessin et modèle, considérant notamment que ce dernier n’était pas nouveau. Cette société considère en effet que ce modèle a été divulgué antérieurement à son dépôt et produit à ce titre les documents suivants :

  • L’extrait d’un catalogue contenant les représentations de l’armoire suivante :

armoire société polonaise Bog-Fran sp. z o.o. sp.k

  • Une facture du 14 août 2008 relative à l’impression du catalogue mentionné ci-dessus à 25 000 exemplaires,
  • Trois factures de 2008, relatives à des ventes de meubles d’une société tierce.

Le 21 décembre 2017, l’EUIPO annule le dessin et modèle de la société polonaise Fabryki Mebli « Forte » S.A., mais cette dernière forme un recours contre cette décision en date du 6 février 2018.

Le 14 janvier 2019, la troisième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours et a annulé la décision de la division d’annulation au motif que le dessin et modèle antérieur n’avait pas été divulgué au public conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002.

C’est dans ce cadre que le TUE a du se prononcer sur la validité de ce dessin et modèle, au regard des documents déposés par la requérante visant à prouver la divulgation du dessin et modèle contesté.

Si cette décision du TUE s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence antérieure, elle permet d’effectuer quelques rappels forts utiles quant aux critères d’appréciation d’une divulgation susceptible de détruire la nouveauté d’un dessin et modèle. A ce titre, le TUE rappelle qu’il convient d’effectuer une analyse en deux étapes :

  • Il convient dans un premier temps d’examiner « si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté » ;
  • Dans un second temps, et « dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte ».

Dans le cadre de cette appréciation en deux étapes, la chambre d’annulation de l’EUIPO avait considéré que les éléments déposés par la société polonaise Bog-Fran sp. z o.o. sp.k., à l’appui de sa demande de nullité, ne permettaient « d’établir avec certitude que le catalogue (…) avait été publié avant la date de dépôt du dessin ou modèle contesté et que ce dernier était alors connu des milieux spécialisés du secteur concerné ».

Dans cet arrêt, le TUE rappelle dans un premier temps que « la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché ».

Partant de ce principe, le TUE considère que « l’impression d’un catalogue à hauteur de 25 000 exemplaires (…) est insuffisante pour démontrer, à elle seule, la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur », mais qu’il convient d’apprécier ce catalogue conjointement avec les autres éléments de preuve avancés par la requérante, et notamment les factures de vente de meubles. Il estime à ce titre que les différents éléments soumis par la requérante, appréciés conjointement, sont suffisants pour constituer un « fait constitutif d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur, consistant dans la vente, à une entreprise, de meubles auxquels ledit dessin ou modèle a été appliqué ».

Partant de ce principe, le TUE considère enfin qu’une « telle démonstration fait présumer la divulgation du dessin ou modèle antérieur » et que dès lors la seconde étape du raisonnement n’a pas à être examinée.

Si cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence établie, il a le mérite de rappeler et de préciser l’appréciation de la divulgation susceptible de détruire la nouveauté d’un dessin et modèle.

L’obtention d’un droit privatif sur un dessin et modèle apparait très aisée dans l’Union Européenne (l’EUIPO n’effectuant qu’un examen de forme), mais il convient de garder à l’esprit que la validité de ce droit peut être remise en cause. Avant tout dépôt, il convient donc de s’assurer de la nouveauté de son modèle en vérifiant qu’il n’existe pas sur le marché de modèle antérieur, de veiller à ne pas divulguer son propre modèle ou en cas de divulgation de le déposer dans un délai maximal d’un an suivant sa première divulgation.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à tm.fr@novagraaf.com.

Alexis Thiebaut, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France

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