Le « design » du vélo pliant de Brompton pourrait être protégé pour une « éternité »
Les industriels et les entrepreneurs sont nombreux à éprouver la brièveté de cette protection « temporaire » par le brevet qui n’est que de 20 ans, alors que le développement, la mise au point et l’industrialisation du produit nécessitent de nombreuses années auxquelles se rajoute souvent le temps nécessaire à sa mise sur le marché.
Aucune autre invention ne combine aussi étroitement l'utile et l'agréable que la bicyclette. (Adam Opel)
La bicyclette est l'une des rares inventions humaines qui ne servent qu'au bien. (Paul Guth)
Pour justifier la protection d’une invention à caractère technique par un brevet, Eugene POUILLET déclarait « Qu'on ne dise donc pas que l’inventeur ne peut réclamer un droit de jouissance temporaire sur son invention, parce que …le service rendu à la société est considérable et n'est pas trop récompensé par le droit temporaire de jouissance que nous réclamons pour l’inventeur. »
Les industriels et les entrepreneurs sont nombreux à éprouver la brièveté de cette protection « temporaire » par le brevet qui n’est que de 20 ans, alors que le développement, la mise au point et l’industrialisation du produit nécessitent de nombreuses années auxquelles se rajoute souvent le temps nécessaire à sa mise sur le marché.
Cette brièveté est d’autant plus critique lorsque l’invention est « parfaite » dès son origine et ne permet pas de prolonger la protection par des brevets postérieurs efficaces qui en protégeraient des perfectionnements.
Mais au-delà de la conception technique et de sa protection par le brevet, le produit se pare très souvent, le plus souvent, et de plus en plus souvent d’autres attraits qui participent à son succès. C’est notamment ce que, en bon français, on appelle désormais le « design » du produit.
Cela peut être la chance de l’industriel qui, lorsque son invention tombe dans le domaine public à l’expiration du brevet, va pouvoir tenter de lutter contre l’apparition sur le marché de produits concurrents qui en reprennent l’apparence.
Pour cela, il va pouvoir invoquer le bénéfice de la protection par le droit d’auteur dont bénéficie l’œuvre que constitue le design du produit dont l’auteur est le designer.
Et le jeu en vaut la chandelle car le « temporaire » de 20 ans peut alors être prolongé par une protection d’au moins 50 ans après la mort de l’auteur ce qui, dans le domaine des produits industriels s’apparente à une quasi « éternité ».
Pour bénéficier du droit d’auteur, le design du produit doit être une œuvre originale résultant d’une création intellectuelle.
Mais une œuvre peut-elle être originale lorsque la réalisation d’un produit a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté ?
C’est cette question qui a été récemment soumise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) (CJUE, C-833/18, 11 juin 2020, Brompton Bicycle Ltd v. Chedech/Get2Get) (http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=227305&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=6354101)
à propos d’un litige concernant le célèbre vélo pliant de la société Brompton qui était protégé par un brevet tombé dans le domaine public en 1999, à la société Get2Get qui, sous la marque CHEDECH, commercialise un vélo pliant selon l’invention et dont le design reprend de nombreux aspects de celui du vélo commercialisé par Brompton.
Le vélo Brompton (https://www.brompton.com/about-us/history#) est la parfaite illustration d’un brevet expiré « trop tôt » (ici seulement 10 ans après le début de la commercialisation de masse), mais dont le design est susceptible de refléter les choix libres et créatifs et la personnalité de son inventeur et designer (https://en.wikipedia.org/wiki/Andrew_Ritchie_(Brompton).
Prolongeant ses prises de position antérieures, la CJUE a rappelé que :
- Lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre et bénéficier en conséquence de la protection conférée par le droit d’auteur.
- un objet satisfaisant à la condition d’originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet, en manifestant des choix libres et créatifs.
- il convient de souligner que le critère de l’originalité ne saurait être rempli par les composantes d’un objet qui seraient uniquement caractérisées par leur fonction technique, puisque la protection au titre du droit d’auteur ne s’étend pas aux idées. Protéger ces dernières par le droit d’auteur reviendrait, en effet, à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment, notamment, du progrès technique et du développement industriel.
- afin d’établir si le produit relève de la protection au titre du droit d’auteur, il faut déterminer si, à travers ce choix de la forme du produit, son auteur a exprimé sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs et a modelé le produit de sorte qu’il reflète sa personnalité.
- il n’y a lieu de tenir compte de l’existence d’un brevet antérieur, aujourd’hui expiré, ou de l’efficacité de la forme pour aboutir au même résultat technique, que si ces éléments permettent de révéler les considérations qui ont été prises en compte dans le choix de la forme du produit concerné.
- afin d’apprécier si le vélo pliable en cause est une création originale et est ainsi protégé au titre du droit d’auteur, il faut tenir compte de tous les éléments pertinents tels qu’ils existaient lors de la conception de cet objet, indépendamment des facteurs extérieurs et ultérieurs à la création du produit.
Et la CJUE a conclu que :
- la protection au titre du droit d’auteur s’applique à un produit dont la forme est, à tout le moins en partie, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique lorsque ce produit constitue une œuvre originale résultant d’une création intellectuelle, en ce que, au travers de cette forme, son auteur exprime sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs de sorte que ladite forme reflète sa personnalité.
Fort de cette décision de principe, Brompton va pouvoir poursuivre ses actions en justice dans l’Union Européenne en invoquant le droit d’auteur.
Enfin, comme l’a noté l’Avocat Général, « le rejet éventuel de la protection par le droit d’auteur n’empêcherait pas le recours à d’autres dispositions prévues pour lutter contre les imitations serviles ou parasitaires ».
Une propriété industrielle et intellectuelle efficace et garante du succès, est toujours le résultat d’un accompagnement dynamique du processus de conception et de commercialisation d’un produit.
Chaque industriel, chaque entrepreneur doit garder à l’esprit que les efforts nécessaires à la protection de ses inventions doivent être accompagnés par des cessions à son profit des droits d’exploitation des œuvres « artistiques » de ses salariés et de ses sous-traitants et par des mesures de sauvegarde et de traçabilité des éléments de preuve qui pourront lui permettre d’invoquer les droits d’auteur(s) correspondant, c’est-à-dire l’identité du ou des designers et les pièces attestant de leurs créations.
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