Le Tribunal de première instance donne des précisions sur les preuves de l’usage sérieux
L'usage d'une marque dans un secteur connexe constitue-t-il un usage sérieux de cette marque ? Qu'en est-il si cette marque est exploitée sous une forme qui diffère de sa forme de dépôt ? Florence Chapin présente un arrêt récent du Tribunal de l'Union européenne qui apporte des éléments de réponse.
En septembre 2010, C&S Srl (ci-après la "requérante") a déposé une demande d'enregistrement de la marque figurative européenne suivante en classe 25 pour des "vêtements, chaussures, chapellerie" :
Le 3 décembre 2020, la société Scuderia AlphaTauri SpA a déposé une demande de déchéance de la marque au motif énoncé à l'article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 (annulation pour défaut d'usage).
Le 2 décembre 2021, la division d'annulation de l'EUIPO a fait droit à cette demande.
Le 28 janvier 2022, la requérante a déposé un recours auprès de l'EUIPO contre la décision d'annulation, mais la première chambre de recours a rejeté le recours.
La requérante sollicite donc l’annulation de la décision auprès du Tribunal de l’UE. (C&S v EUIPO).
Qu'est-ce que l’usage sérieux ?
C&S avait soulevé deux objections principales à l'encontre de la décision d'annulation.
- L'usage de la marque contestée pour des services de confection de vêtements
Afin de prouver l'usage sérieux de la marque contestée, C&S a notamment présenté, au cours de la procédure administrative, les preuves suivantes :
- un rapport d'enregistrement de la société titulaire de la marque contestée ;
- des états financiers de cette société pour les années 2015 à 2019 ;
- plusieurs factures datées entre le 4 février 2015 et le 10 juillet 2020 ;
- des photos non datées de marchandises et de façades de magasins ;
- un calendrier de l'équipe de football "Trestina" pour l'année 2015 ; et
- des présentations non datées de l’entreprise titulaire de la marque contestée.
À la lumière des éléments de preuve présentés, l'EUIPO avait estimé que la marque n'était pas exploitée pour des vêtements tels que visés dans la classe 25, mais pour des services de fabrication de vêtements.
C&S fait valoir que l’usage de sa marque en relation avec ces services constituait également un usage de la marque en relation avec des vêtements, ajoutant que l'EUIPO et la Scuderia AlphaTauri admettaient qu'elle était une entreprise de fabrication de vêtements.
C&S soutient donc que l'usage qu'elle a fait de la marque contestée en relation avec ces services constitue également un usage de la marque en relation avec des vêtements.
À cet égard, elle a soutenu que, dans le cadre de l'appréciation du risque de confusion, une marque désignant des "vêtements" dans la classe 25 serait protégée même contre un signe identique ou similaire utilisé comme marque désignant des services de fabrication de vêtements. La requérante indique ensuite que selon la jurisprudence, les services de vente au détail concernant la vente de produits spécifiques sont similaires à un degré moyen à ces produits spécifiques. Enfin, elle s'est appuyée sur le lien de complémentarité entre l'usage de la marque en relation avec des vêtements, d'une part, et le service de fabrication de vêtements pour des tiers, d'autre part.
La décision attaquée a mis en exergue un point à l'appui de cet argument, à savoir que le calendrier de l'équipe de football de Trestina ne comportaut aucune information sur les produits offerts sous la marque contestée. En outre, les factures datées entre le 4 février 2015 et le 10 juillet 2020 ne concernaient pas la vente de produits couverts par la marque contestée, mais la prestation de services, à savoir la conception et la fabrication sur mesure de vêtements sous licence d'une marque tierce.
Dans son arrêt, la chambre de recours avait conclu que le calendrier et les factures ne constituaient pas des preuves solides et objectives de l'usage de la marque contestée en relation avec les produits couverts par cette marque. Ainsi, l'usage d'une marque en relation avec le service de fabrication de vêtements ne pouvait pas être assimilé à l'usage de la même marque en lien avec des vêtements.
Le Tribunal de l'UE a estimé que la chambre de recours n'avait ainsi pas commis d'erreur d'appréciation en arrivant à cette conclusion. Il a également noté que la société C&S avait admis dans ses mémoires qu'elle était une entreprise manufacturière dont la seule activité consistait à fabriquer des vêtements. Par conséquent, l'usage de la marque en liaison avec des services de fabrication de vêtements ne pouvait pas être considéré comme un usage sérieux de la marque en liaison avec des vêtements.
→ Sur ce point, la réglementation et la jurisprudence sont très claires : l'exigence d'un usage sérieux d'une marque communautaire contestée doit concerner les produits ou services "pour lesquels elle est enregistrée". Ces dispositions n'indiquent pas que l'usage d'une marque pour des produits ou services similaires à ceux pour lesquels elle est enregistrée puisse être considéré comme un usage sérieux de la marque en cause. À cet égard, étant donné que les consommateurs recherchent avant tout un produit ou un service susceptible de répondre à leurs besoins spécifiques, la finalité ou l'utilisation prévue du produit ou du service en question est essentielle pour orienter leur choix.
La requérante cherchait en outre à contester la validité de la décision de l'EUIPO en invoquant le caractère administratif de la classification de Nice et, sans que cela soit contesté, il était nécessaire de recourir à la classification de Nice pour déterminer, le cas échéant, la portée et même la signification des produits et services pour lesquels une marque a été enregistrée (voir l'affaire DTM Ricambi/OHMI (T-199/13)). Le Tribunal a estimé que, compte tenu du sens littéral clair de la liste des produits de la classe 25, à savoir "vêtements, chaussures, chapellerie", la considération selon laquelle les vêtements, d'une part, et le service de fabrication de vêtements, d'autre part, peuvent être distingués l'un de l'autre et ne peuvent être confondus dans le cadre de la démonstration de l'usage sérieux de la marque contestée, résultait d'une interprétation parfaitement cohérente.
Enfin, C&S a fait valoir qu'une marque désignant des "vêtements" serait protégée même contre un signe identique ou similaire couvrant des services de fabrication de vêtements et que les services de vente au détail concernant la vente de produits spécifiques étaient similaires à un degré moyen à ces produits spécifiques. Le tribunal n'a toutefois pas accepté cet argument.
2. Usage de la marque sous une forme modifiée
C&S a fait valoir que, contrairement à ce qu'avait constaté la chambre de recours, elle avait fait usage de la marque contestée sous une forme comportant des éléments qui n'altéraient pas le caractère distinctif de cette marque sous la forme sous laquelle elle avait été enregistrée. La marque a été utilisée pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée sous la forme suivante :
La chambre de recours avait constaté que :
- les éléments distinctifs de la marque contestée étaient constitués par le groupe de lettres "CS" hautement stylisé et le mot stylisé "jeans" ; et
- l'élément verbal "your best fashion partner" était dépourvu de caractère distinctif, étant donné que le public concerné le percevrait comme un slogan élogieux.
Elle a considéré que l'élément verbal "jeans" n'était pas purement descriptif, mais qu'il présentait un faible degré de distinctivité au motif que la lettre "j" se distinguait du groupe de lettres "eans" par sa plus grande taille et ses éléments graphiques sous forme de points et de bouton ; et que le mot "jeans" était stylisé.
En ce qui concerne la marque telle qu'utilisée, la chambre de recours avait estimé que l'omission du mot "jeans" altérait le caractère distinctif de la marque contestée pour les raisons suivantes :
- En raison de sa stylisation, l'élément verbal "jeans" avait un faible degré de distinctivité et ne pouvait pas être considéré comme étant simplement descriptif.
- Cet élément verbal interagissait avec les autres éléments de la marque contestée, en particulier l'élément figuratif représentant le groupe de lettres majuscules "CS". La lettre "j" était de la même taille que les lettres de l'élément figuratif "CS" en majuscules et cette disposition créait un lien visuel entre cet élément figuratif et le groupe de lettres "eans".
- Le mot stylisé "jeans" occupait une position co-dominante avec l'élément figuratif représentant le groupe de lettres "CS" en majuscules et était visuellement remarquable, en raison de sa taille et de sa position, dans l'impression d'ensemble créée par la marque contestée.
Le tribunal a estimé que le raisonnement de la requérante reposait sur l'idée erronée que le signe figuratif représentant le groupe de lettres majuscules "CS" constituait le seul élément distinctif de la marque, et que l'élément verbal "jeans" et l'expression "your best fashion partner" n'avaient pas de caractère distinctif. En outre, il ne ressortait pas du dossier que le consommateur percevrait l'élément figuratif représentant le groupe de lettres majuscules "CS" comme la partie dominante de la marque ou que l'élément "jeans" était négligeable.
Compte tenu de ce qui précède, le tribunal a rejeté le recours.
L'importance d'un usage sérieux - et des preuves à l'appui
La protection offerte par le simple enregistrement est de courte durée et les registres sont encombrés. Pour bénéficier d'un monopole exclusif, le titulaire d'une marque doit en faire un usage réel et sérieux et être en mesure de le prouver en cas de contestation.
Il est donc conseillé de se préparer à attaquer ou à riposter contre des tiers. Il s'agit notamment d'utiliser ses marques, surtout sous la forme dans laquelle elles ont été enregistrées (il est conseillé d'auditer régulièrement les portefeuilles) ; et de constituer régulièrement des dossiers d'usage de la marque (preuves) pour tous les produits et services couverts par l'enregistrement, afin de pouvoir se défendre rapidement en cas d'action en justice.
Lisez notre article "Trademark tips: Preparing evidence of use" pour une liste détaillée des meilleures pratiques recommandées pour la collecte des preuves ou contactez-nous ci-dessous pour des conseils sur mesure.
Florence Chapin, Conseil en Propriété Industrielle, Novagraaf, Bordeaux.
Cet article a été publié pour la première fois dans WTR Daily, une partie de World Trademark Review, en juillet 2023.