Marques 3D : précisions sur leur protection

Par Anna Di Grezia,

Marques 3D : précisions sur leur protection à la lumière de l’intérêt général de l’interdiction de la protection des formes exclusivement techniques.

Le Tribunal de l’Union Européenne, dans un arrêt du 26 mars dernier (TUE, 26 mars 2020, T-752/18, Tecnodidattica SpA / EUIPO), concernant l’enregistrement à titre de marque d'un signe consistant en la forme du produit, revient sur les principes de l’interdiction prévue à l’article 7 §(1) e) ii) du Règlement 207/2009 et apporte quelques éclaircissements en précisant certains points.

Les faits sont les suivants :

La société italienne Tecnodidattica SpA dépose en janvier 2016 une demande de marque tridimensionnelle de l’Union Européenne consistant en 6 représentations d’un socle de globes et de lampes, en classes 11 et 16, tel que reproduit ci-après :

marques 3D protection

L'enregistrement de cette marque est refusé par l'EUIPO, le signe n’étant pas considéré comme distinctif pour les produits suivants visés par la demande de marque « socles de lampes, supports conçus pour le montage de lampes » en classe 11 et « globes terrestres ; globes célestes » en classe 16, à la seule exception des « cartes géographiques, livres et atlas ».

Suite au recours présenté par la société déposante, le rejet est confirmé par la chambre des recours sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no. 207/2009 (devenu article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001), au motif que le signe tombe sous le coup d'un motif absolu de refus, étant exclusivement constitué par la forme du produit ou par une partie de celui-ci nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

La société Tecnodidattica saisit alors le Tribunal de l'Union Européenne basant le recours sur la violation de l’article 7 (1) e) ii) qui donne lieu à une décision de rejet nous permettant de faire un rappel utile des différents critères/principes à la base de cette interdiction et d’en éclaircir certains points.

*****

Le Tribunal rappelle que cette interdiction permet de s’assurer que des entreprises n’utilisent pas le droit des marques pour perpétuer, sans limitation dans le temps, des droits exclusifs portant sur des solutions techniques qui sont seulement susceptibles d’une protection de durée limitée, de sorte qu’elles peuvent, par la suite, être librement utilisées par l’ensemble des opérateurs économiques.

En effet, lorsque la forme d’un produit ne fait qu’incorporer une solution technique brevetée par le fabricant de ce produit, une protection de cette forme à titre de marque après l’expiration du brevet réduirait considérablement et perpétuellement la possibilité pour les autres entreprises d’utiliser ladite solution technique. 

Le Tribunal rappelle encore que le refus est limité aux signes constitués « exclusivement » par la forme du produit « nécessaire » à l’obtention d’un résultat technique.

A quel moment ces conditions sont-elles remplies ?
 

Le Tribunal précise que la première (« exclusivement ») est remplie lorsque toutes les caractéristiques essentielles de la forme répondent à la fonction technique du produit, l’expression « caractéristiques essentielles » devant être comprise comme visant les éléments les plus importants du signe.

Pour que la deuxième condition (« nécessaire ») soit remplie, cela ne signifie pas que la forme en cause doit être la seule permettant d’obtenir ce résultat. Il est donc indifférent qu'il puisse exister des formes alternatives permettant de parvenir au même résultat.

Par ailleurs, ce motif absolu de refus ne s'applique pas uniquement aux signes constitués exclusivement par la forme d’un produit en tant que tel, mais concerne également ceux constitués par la forme d’une partie quantitativement ou qualitativement significative d’un produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

Or, le TUE précise que, selon une jurisprudence constante, l'exacte application de l’article 7 (1) e) ii) implique que les caractéristiques essentielles du signe en cause soient identifiées par l’EUIPO lorsqu’il statue sur la demande d’enregistrement de celui-ci en tant que marque.

Une fois identifiées les caractéristiques essentielles du signe, il incombe encore à l’EUIPO de vérifier si elles répondent toutes à une fonction technique à l’égard du produit en cause.

Cela signifie que ne sera pas refusée à l’enregistrement une forme de produit au motif qu'elle présente uniquement des caractéristiques utilitaires, ou une forme de produit dans laquelle un élément non fonctionnel, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste, joue un rôle important.

La seule question est donc de savoir si les caractéristiques essentielles identifiées répondent à la fonction technique du produit.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal souligne que toutes les caractéristiques essentielles du signe en cause identifiées par la Chambre des recours de l'EUIPO répondent ainsi à une fonction technique. Cette forme est donc nécessaire à l’obtention du résultat technique recherché, à savoir le support (par le socle) et la rotation (par le pivot) des produits en question afin d’observer le globe sous tous ses aspects.

La condition de refus visant tout signe constitué « exclusivement » par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique est donc remplie.

Si cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence établie, il atteste d’une part de la difficulté d’obtenir l’enregistrement à titre de marque d’un signe constitué par la forme d’un produit ou d’une partie du produit, et d’autre part de « l’intérêt général » qui sous-tend l'interdiction énoncée par l’article 7 (1) e) ii) d'enregistrer de tels signes visant en effet à empêcher que le droit des marques n’aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit.

Seules les formes de produits qui ne font qu’incorporer une solution technique et dont l’enregistrement en tant que marque empêcherait l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises sont refusées à l’enregistrement et ce afin de contribuer à la réalisation d’un système de concurrence sain et loyal. 

Pour finir, il convient de garder à l’esprit que, comme le TUE le souligne, une entreprise qui voudrait se protéger à l’égard de concurrents mettant sur le marché des copies serviles de la forme de son produit, ne pourra pas obtenir cette protection par un monopole qui lui serait conféré par l’enregistrement en tant que marque du signe tridimensionnel constitué par la forme de son produit, mais elle pourra, le cas échéant, se défendre à la lumière des règles en matière de concurrence déloyale.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à nous envoyer un mail à tm.fr@novagraaf.com.

Anna Di Grezia, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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