Marques et médias sociaux : simple communication ou véritable preuve d'usage ?
L’exploitation d'une marque sur les réseaux sociaux par son titulaire constitue-t-elle une preuve réelle d'usage ? Florence Chapin examine un arrêt récent de l'UE sur les marques et les médias sociaux qui nous éclaire sur ce sujet d’actualité.
Quand l'usage d'une marque sur des sites de réseaux sociaux constitue-t-il une preuve effective d'usage ? Telle était la question posée au Tribunal de l'UE le 7 février 2024 lorsqu'il a rendu son arrêt dans l'affaire T-74/23.
La société Caramé Holding AG est titulaire d’un enregistrement international visant l’Union Européenne protégeant le signe figuratif (à droite) depuis 1er mars 2016 et couvrant les produits suivants en classe 3 : "Préparations pour le nettoyage, le soin et l'embellissement de la peau, des ongles, des lèvres, des yeux et des cheveux ; parfumerie ; produits cosmétiques ; produits cosmétiques décoratifs ; produits de soin des ongles ; produits de soin des cheveux ; produits de coiffure. ”
La société Oriflame Cosmetics AG a formé une opposition à l'encontre des produits susmentionnés le 25 novembre 2016, en se fondant sur l'enregistrement international antérieur n° 822 851 (à gauche) enregistrée depuis le 19 février 2004. Cette marque antérieure désignait la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie et couvrait "les savons, la parfumerie, les huiles essentielles, les cosmétiques, les lotions capillaires, les dentifrices" en classe 3.
À l'appui de l'opposition, Oriflame Cosmetics a déclaré exploiter commercialement la marque antérieure depuis 2003 en effectuant un usage à la fois comme marque principale et comme marque autonome sur ses produits et son matériel de marketing. La société a soumis ses lignes directrices relatives à l’usage de la marque antérieure, sa présence en ligne et son choix de commercialiser et de promouvoir ses produits par la vente directe au moyen de conseillers de vente indépendants, en promouvant les produits par le biais des médias sociaux, en distribuant des catalogues et en organisant des événements au cours desquels des échantillons sont offerts et des commandes sont prises.
Les marques stylisées et la question de l'usage sérieux
Suite à une requête de Caramé Holding, l'Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) a demandé à la requérante de fournir la preuve de l'usage sérieux de sa marque antérieure. Après avoir évalué ces preuves, la division d'opposition de l'EUIPO a rejeté l'opposition le 4 avril 2022.
La requérante a introduit un recours en faisant valoir qu'il était habituel pour de nombreuses entreprises d’exploiter leur marques sous deux formes pour identifier leurs produits : d'une part, une forme complète et, d'autre part, une forme abrégée représentée par une lettre stylisée également exploitée dans le cadre de l’usage sous sa forme complète. A titre d'exemple, la requérante a cité, entre autres, les formes complètes Nespresso, Fila, Carlsberg et Disney et les formes abrégées représentées par les lettres stylisées "N", "F", "C" et "D", qui étaient également exploitées de façon indépendante.
Néanmoins, la chambre de recours a rejeté le recours au motif que la requérante n'avait pas prouvé l'usage sérieux de sa marque antérieure, que ce soit en tant que telle ou en combinaison avec d'autres éléments, tels que les éléments verbaux "ORIFLAME" ou "ONE".
Recours devant le Tribunal
La requérante a alors introduit un recours sollicitant l’annulation de la décision de la chambre de recours qui, selon le premier moyen de la requérante, a violé les articles 42, paragraphes 2 et 3, du Règlement n° 207/2009.
Cet article 42, paragraphe 2, prévoit que, si le demandeur l'a sollicité, le titulaire d'une marque de l'Union européenne antérieure qui a notifié son opposition est tenu de fournir la preuve que, pendant la période de cinq ans précédant la date de publication de la demande de marque de l'Union européenne (désormais la date de dépôt ou la date de priorité à l'article 47 du Règlement 2017/1001), la marque antérieure a fait l'objet d'un usage sérieux sur le territoire où elle est protégée en liaison avec les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée et que le titulaire invoque pour justifier son opposition, ou qu'il existe des motifs valables de non-usage.
La requérante a fait valoir que la chambre avait mal apprécié les éléments de preuve versés au dossier. Selon elle, les preuves soumises ont servi à démontrer l'usage sérieux de la marque antérieure, que cet usage ait été fait sous la forme enregistrée seule ou en combinaison avec d'autres éléments. Elle a également insisté sur la nécessité pour la chambre d'apprécier le rôle et le poids qui peuvent être accordés aux éléments de preuve relatifs à l'usage de cette marque sur les médias sociaux qui ont été versés au dossier.
Décision du Tribunal
Le Tribunal a souligné que, au cours de la procédure devant l'EUIPO, la requérante a versé au dossier des éléments de preuve afin de définir les faits et circonstances pertinents pour établir si l'usage commercial de la marque antérieure pendant la période pertinente était bien de nature à prouver qu'il y avait eu un usage effectif et sérieux de cette marque sur le territoire où elle était protégée en ce qui concerne les produits pour lesquels elle était enregistrée et sur lesquels l'opposition était fondée. Ces preuves ont démontré l'usage de la marque antérieure non seulement en combinaison avec d'autres éléments, mais aussi en tant que marque autonome sur des produits et du matériel de marketing.
Le tribunal a donc considéré comme valables les preuves suivantes :
- la preuve fournie par l'exploitation commerciale de la marque antérieure en tant que marque autonome, par exemple sur la couverture arrière de son rapport annuel d’activité pour 2015 ;
- la preuve de l'usage au sommet du bouchon d'un produit cosmétique ou de parfumerie ou à la base d'un tube contenant un autre produit cosmétique ;
- des extraits issus de réseaux sociaux (tels que Facebook, Instagram, Youtube et Twitter(X)) ou de magasins d'applications tels que Google Play, ainsi que des reproductions et l'usage de la marque antérieure en tant que telle sur les réseaux sociaux. L'usage des marques sur les réseaux sociaux était pertinent car il s'agit d'un moyen de communication courant dans le domaine en question.
- des captures d'écran d'articles ou de sites web démontrant l'usage de la marque ; et
- les factures utilisées pour prouver l'usage de la marque sur le dessus du bouchon ou du couvercle des produits cosmétiques afin de garantir l'identité d'origine des produits pour les consommateurs qui pourraient alors voir uniquement le bouchon ou le couvercle.
Le tribunal a donc conclu que la chambre de recours avait commis une erreur d'appréciation et sa décision a été annulée.
Les conséquences de la décision pour les marques et les médias sociaux
Le raisonnement du Tribunal concernant les preuves fondées sur l’usage des marques et les médias sociaux est intéressant et sera certainement repris au sein de futures décisions.
Le Tribunal a estimé que la requérante avait raison de prétendre que la chambre de recours n'avait pas accordé suffisamment d'importance à l'utilisation de la marque antérieure à travers les médias sociaux. L'utilisation des médias sociaux faisait partie de l'usage commercial de la marque antérieure défini par le demandeur. Les comptes faisant référence à la marque antérieure sur les différents médias sociaux mentionnés par la requérante étaient souvent consultés sur de petits écrans, tels que ceux des téléphones, sur lesquels il n'y avait pas beaucoup d'espace, ce qui favorisait l'utilisation de la forme abrégée de cette marque. Les extraits présentés ont également permis d'établir que la marque était utilisée pour identifier les produits de la requérante, que ce soit à des fins de promotion ou de marketing, par exemple au moyen de vidéos, de photos ou de textes.
Pour plus d'informations sur les marques et les médias sociaux ou sur la preuve de l'usage, consultez votre Conseil Novagraaf ou contactez-nous ci-dessous.
Florence Chapin, Conseil en Propriété Industrielle en Marques, Dessins et Modèles et Responsable du pôle viti-vinicole, Novagraaf, France.
Cet article a été publié pour la première fois dans WTR Daily, une partie de World Trademark Review, en février 2024. Pour de plus amples informations, veuillez consulter le site www.worldtrademarkreview.com.