Pablo Escobar et l'éthique des marques
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Le Tribunal de l'Union Européenne (UE) a récemment examiné si le nom Pablo Escobar pouvait être enregistré en tant que marque de l'UE au regard de l’ordre public et/ou des bonnes mœurs.
La société holding Escobar Inc, qui gère notamment les droits de propriété intellectuelle de la famille Escobar, a déposé une demande d'enregistrement du nom « Pablo Escobar » en tant que marque de l'UE (MUE) en 2021. La demande couvrait une grande variété de produits et de services, allant des cosmétiques, logiciels, hélicoptères, armes à feu, meubles, moules à gâteaux, vêtements, le tabac et succédanés du tabac aux services médicaux, financiers, de restauration et juridiques.
L'Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) a rejeté la demande (en première instance et en appel) sur la base de l'article 7(1)(f) du règlement sur les marques de l'UE (RMUE). Cet article dispose que l'enregistrement sera refusé si le signe est contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
CP14 et l'évaluation de l'éthique des marques
L'EUIPO et les offices nationaux de propriété intellectuelle des différents États membres de l'UE ont récemment examiné les principes généraux permettant d'évaluer si une marque est contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Ces principes ont ensuite été repris dans les lignes directrices d’une pratique commune connue sous « CP14 » et publiée en avril 2024, permettant de fournir des indications supplémentaires lors de l’évaluation de la contrariété à l'ordre public et/ou aux bonnes mœurs d’un signe est contraire et, par conséquent, son rejet de l'enregistrement à titre de marque.
La CP14 déclare, entre autres, que :
- Chaque demande d'enregistrement de marque doit être évaluée au cas par cas en tenant compte du niveau normal de sensibilité et de tolérance du public pertinent dans la juridiction concernée ainsi que de toutes les circonstances propres à l’État membre ou aux États membres et au cas d’espèce
- La liberté d'expression doit également être prise en compte lors de l'évaluation des demandes sur la base de l'éthique des marques.
La CP14 définit les concepts d'ordre public et de moralité comme suit :
• Ordre public : un ensemble de normes, de valeurs et de principes fondamentaux des sociétés de l’Union européenne à un moment donné. Il inclut, en particulier, les valeurs universelles de l’Union européenne, telles que la dignité humaine, la liberté, l’égalité et la solidarité, ainsi que les principes de démocratie et d’État de droit, tels que proclamés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Son contenu devrait être vérifiable à partir de sources fiables et objectives.
• Bonnes mœurs : valeurs et normes morales fondamentales acceptées par une société de l’Union européenne à un moment donné, incluant les normes et valeurs morales religieuses, culturelles et sociales. L'identification de ces valeurs et normes nécessite au moins une évaluation empirique de ce que la société concernée (le public en question) considère, à un moment donné, comme des normes de conduite acceptables.
En outre, la CP14 note que lorsqu'il s'agit d'examiner les demandes sur la base de l'éthique des marques, il y a une distinction à faire entre la contrariété avec « l'ordre public » et le « mauvais goût ». Cette ligne est très mince, mais si un signe demandé en tant que marque est de mauvais goût parce qu'il est grossier, non raffiné ou indécent, cela ne constitue pas une raison pour refuser la demande d'enregistrement sur la base de l'article 7, paragraphe 1, sous f), du RMUE.
D'autre part, certaines catégories de signes ont été identifiées comme susceptible de relever du champ d'application de l'article 7, paragraphe 1, point f), du RMUE, notamment les signes incluant/liés à : 1) des substances illicites, 2) des risques pour la sécurité publique, 3) un lien religieux ou au sacré, 4) des éléments vulgaires (jurons, gestes offensants, etc.), 5) des obscénités, la sexualité et contenant des allusions à ces sujets, 6) les signes dénigrant ou insultant un groupe particulier, 7) des activités criminelles et des crimes contre l'humanité, 8) des événements tragiques notoires et 9) des personnages historiques, des symboles nationaux/de l’UE et/ou des personnalités tenues en haute estime, etc.
Éthique des marques : le nom Pablo Escobar peut-il être enregistré ?
Comme il s'agit d'un signe lié à une organisation criminelle, à des activités illégales et/ou à des crimes graves, la demande de marque pour 'Pablo Escobar' est considérée comme relevant de la catégorie 7 de la liste ci-dessus.
Bien que Pablo Escobar soit colombien et n'ait jamais été condamné, il est bien connu dans le monde entier comme ayant été un baron de la drogue et un narco-terroriste. Ainsi, les valeurs morales fondamentales de l'UE et de ses États membres empêchent l'enregistrement d'un tel signe en tant que marque (ainsi que son utilisation commerciale), dès lors que l'enregistrement de cette marque offenserait profondément et choquerait les victimes et leurs proches, ainsi que toute personne partageant ces valeurs. En outre, l'enregistrement pourrait être considéré comme une apologie du crime et une banalisation du préjudice causé.
Dans son arrêt, le Tribunal de l'UE a souscrit aux décisions de l'EUIPO selon lesquelles le signe « Pablo Escobar » doit être apprécié sur la base non seulement de l'ordre public et des bonnes mœurs de l'UE, mais aussi de ceux de l'Espagne, compte tenu des liens historiques entre l'Espagne et la Colombie. La demande étant considérée comme contraire aux valeurs fondamentales et aux normes morales de la société espagnole, elle était donc contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Dans cette affaire, le principe de la présomption d'innocence (Escobar n'ayant pas été condamné pénalement) n'a pas été considéré comme un obstacle au jugement ni au refus d'enregistrer « Pablo Escobar » à titre de marque dans l'UE.
L'éthique des marques n'est qu'un des motifs pour lesquels une marque peut être refusée à l'enregistrement. Pour savoir si la marque que vous avez choisie remplit les conditions d'enregistrement sur le marché considéré ou pour obtenir de l'aide pour choisir et enregistrer vos marques, parlez-en à votre Conseil Novagraaf ou contactez notre équipe.
Miriam den Boogert, Conseil en Marques, Novagraaf, Amsterdam.