Police partout, justice nulle part ?
Ce célèbre slogan, qui prend son origine dans un discours prononcé par Victor Hugo devant l'Assemblée nationale en 1851, ne trouve pas à s’appliquer lorsqu’il s’agit de l’usage des polices d’écriture. Également appelées « typographies » ou « fonte », ces représentations visuelles de caractères d’imprimerie peuvent bénéficier de différentes protections juridiques.
En France, la contrefaçon de typographie, c’est-à-dire la reproduction d’une typographie sans autorisation, est donc un délit condamnable au sens des articles L335-2 et L335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).
Cela s’explique par le fait qu’une typographie est à la fois une création graphique et – dans une certaine mesure – un signe distinctif, puisqu’elle s’apparente à un code graphique pouvant constituer une identité visuelle.
Lorsqu’elle réunit les conditions requises, une police de caractères peut donc être protégée par les principes du droit d’auteur, du droit des dessins et modèles, voire du droit des marques ou encore du parasitisme. C’est également le cas dans de nombreux autres pays, même pour ceux appliquant des régimes de protection différents (copyright par exemple).
L’article L112-2 du CPI considère ainsi les « œuvres graphiques et typographiques » comme des œuvres de l’esprit. Pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, un caractère, un signe, un ornement typographique devra avoir une forme originale exprimant la personnalité de son auteur. Il est important de préciser que c’est la forme originale donnée à la lettre qui sera alors protégée, et non la lettre elle-même.
L’article L511-1 du CPI prévoit également que les « les symboles graphiques et les caractères typographiques » puissent être protégés à titre de dessin ou modèle. Ils devront pour cela être nouveaux (n’avoir jamais été divulgués) et posséder un caractère propre (susciter chez l’observateur averti une impression visuelle différente de ce qui a déjà été divulgué).
Enfin dans certains cas particuliers, la reprise sans autorisation d’une police de caractères indissociable d’une marque célèbre, pourra-être sanctionnée sur la base du parasitisme et/ou de l’atteinte à la marque de renommée. En effet, utiliser une telle typographie au sein d’un signe sera un moyen détourné d’évoquer la marque dans l’esprit du public, sans la reproduire. On peut notamment donner l’exemple des marques Coca-Cola® (sujet évoqué dans ce précédent article) ou encore Walt Disney® dont il est facile de reconnaître les polices de caractères même lorsqu’elles sont utilisées pour écrire d’autres mots.
Typographie « Waltograph » - auteur : Justin Callaghan – source : https://en.wikipedia.org/wiki/File:Waltograph.svg
Chaque typographie est généralement accompagnée d'une licence d’utilisation, quand bien même elle serait mise à disposition à titre gratuit. Il est important de préciser qu’une police téléchargeable gratuitement sur un site Internet spécialisé n’est pas nécessairement libre de droit.
Quiconque souhaite utiliser une typographie obtenue gratuitement devra lire attentivement les termes de la licence libre ou les conditions d’utilisation du site Internet source pour ne pas risquer d’être contrefacteur. Il est également conseillé de s’approvisionner sur des sites connus et fiables, certains s’étant spécialisés dans la contrefaçon de typographies et la mise à disposition sans autorisation des auteurs. Par ailleurs, certains créateurs de polices les rendent disponibles sur des sites bibliothèques, mais restent libres de définir leurs propres conditions d’utilisation avec la licence de leur choix.
Le site Internet dafont.com précise ainsi « Les polices présentes sur ce site sont les propriétés de leurs auteurs [...] La licence mentionnée au-dessus du bouton Télécharger est juste une indication. Merci de lire les fichiers texte des archives ou rendez-vous sur le site de l'auteur indiqué pour les détails, et contactez-le en cas de doute. Si aucun auteur/licence n'est indiqué c'est que nous n'avons pas ces informations, ça ne veut pas dire que c'est gratuit ».
Par ailleurs, acquérir une licence n’empêche pas d’être vigilant et de prendre garde aux termes et conditions d’utilisation, afin de savoir précisément quel usage est permis.
Il existe des licences permettant d’utiliser une typographie sur ordinateur et pour la création d’images, sur des objets comme des t-shirts, des affiches ou autres (licence de bureau « desktop » ou d’impression), des licences permettant un usage dynamique en ligne (licence « webfont »), des licences permettant presque tous les types d’usage (licence « open source ») ou encore des licences commerciales, ainsi que des licences simples (un utilisateur) ou étendues (plusieurs).
Selon l’usage envisagé, il faudra donc en particulier vérifier :
- Si la licence permet un usage personnel (ex : un blog) ou un usage à titre commercial (ex : vente dans le commerce de t-shirts avec des inscriptions utilisant la police).
- Si elle permet un usage statique (sur une image fixe) ou dynamique (lorsque les caractères peuvent être copiés-collés).
- Le nombre d’utilisateurs inclus dans la licence. Souvent, si un créateur achète une police afin de concevoir un objet destiné à être reproduit en plusieurs exemplaires pour la vente dans le commerce, il est nécessaire que les différents acteurs ayant à manipuler la police pour la reproduction de l’objet acquièrent également la licence.
- S’il est possible de modifier la police (étirement, déformation) et de la mettre à disposition (cas relativement rares sauf dans certaines licences open source).
En cas de doute, n’appelez pas la Police mais prenez contact avec votre Conseil pour un accompagnement personnalisé.
Pour de plus amples informations sur ce sujet dans le cadre de votre stratégie de marque, veuillez contacter votre Conseil habituel chez Novagraaf.
Marine Dissoubray, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France