Une décision importante T 1741/22 : Pas d’effet technique pour la génération de nouvelles données

Par Valérie Stephann,

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La récente décision T 1741/22 de la Chambre de recours de l’OEB porte sur une demande de brevet relative à un système d'analyse des données de surveillance du glucose. La Chambre a finalement rejeté la demande de brevet, estimant que la simple génération de « nouvelles données » à partir de données de mesure déjà collectées du corps humain ne produit pas un effet technique (T 2681/16 et les Directives d'examen non suivies). 

Description de l’invention : Un système innovant de surveillance du glucose 

L’invention en question concerne un système pour analyser des données de surveillance continue du glucose qui indiquent le niveau de glucose dans le sang. Il comprend un dispositif d'entrée pour recevoir les données de glucose, un dispositif de traitement pour traiter les données reçues, un dispositif de sortie qui envoie les données traitées à l'affichage et un dispositif d'affichage pour afficher une représentation graphique de ces données. Le système permet de créer des profils de glucose sur plusieurs jours et de visualiser des valeurs minimales et maximales sur un graphique. 

Plus précisément, le système : 

a) reçoit des données de surveillance continue du glucose via le dispositif d'entrée, collectées sur une série de points temporels au cours d'une période de 24 heures ; 

b) crée plusieurs profils de glucose sur plusieurs jours, chacun contenant des valeurs de glucose prises à différents moments d'échantillonnage sur chaque jour ; 

c) détermine des valeurs minimales et/ou maximales de glucose pour les différents profils respectifs ; 

d) génère des signaux d'affichage pour visualiser ces valeurs de glucose ; 

e) affiche une représentation graphique des valeurs minimales et/ou maximales sur le dispositif d'affichage. 

L’invention se distingue de l’art antérieur par les caractéristiques c) et d).

Point clé de la décision : la génération de « nouvelles données » n’apporte aucun effet technique 

La Chambre déclare que le simple fait de générer de "nouvelles données" telle que des valeurs minimales et/ou maximales de glucose à partir de données de glucose déjà mesurées ne contribue pas au caractère technique d'une invention. Les méthodes mathématiques, exclues de la brevetabilité, génèrent constamment de « nouvelles données ». Voir motif 2.3

Interaction avec la réalité physique : une condition essentielle pour qualifier une étape de mesure  

La Chambre fait référence à la décision G 1/19 (motif 99) pour rappeler que les mesures ont un caractère technique lorsqu'elles impliquent une interaction avec la réalité physique. Ici, l'invention ne fait que traiter des données déjà mesurées, ce qui n’implique pas cette interaction avec la réalité physique et ne crée donc pas d'effet technique. 

Une fois les niveaux de glucose mesurés, les étapes de traitement ultérieur de ces données mesurées sont considérées comme des étapes mathématiques ou des activités cognitives, qui sont intrinsèquement non techniques. 

Désaccord avec la décision T 2681/16 

La Chambre se dit en désaccord avec la précédente décision T 2681/16 et critique l'interprétation selon laquelle un algorithme de traitement de données déjà mesurées de glucose produit un effet technique de "mesure globale de la variabilité du glucose" ou de meilleure prédiction d'événements glycémiques. Pour la Chambre, une véritable mesure doit impliquer une interaction avec la réalité physique (comme le sang du patient), ce qui n'est pas le cas des étapes purement mathématiques ou intellectuelles qui suivent les mesures initiales. Par conséquent, l'analyse ou l'interprétation de données déjà mesurées ne peut pas être considérée comme une mesure technique.  

La Chambre déclare que générer de nouvelles données (« new data »)  à la suite de cette interaction [avec la réalité physique] peut aboutir à des "mesures" de nature technique. Cependant, générer (et afficher) des données supplémentaires (« further data ») par une évaluation ou une interprétation de ces mesures (comme le font les caractéristiques (c) et (d) de l’invention) revient à des "mesures" produites uniquement par un exercice cognitif ou mathématique, qui est intrinsèquement non technique (motif 2.3.6).

Critique des directives de l’OEB relatives au diagnostic médical automatisé 

La Chambre critique également les Directives d'examen de l'OEB, en particulier la section G-II 3.3, qui considère qu'un diagnostic médical par un système automatisé utilisant des mesures physiologiques pourrait constituer une contribution technique. Selon la Chambre, un diagnostic médical, qu'il soit fait par un médecin ou par un système automatisé, n'a pas de caractère technique, conformément à des décisions antérieures telles que G 1/04. La Chambre trouve cette partie des Directives erronée et sans fondement juridique. (motif 2.3.7)

Conclusion : Une approche stricte pour la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur 

En conclusion, la décision T 1741/22 renforce une position stricte sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur dans le contexte de la mesure de données. Elle fait une distinction entre les véritables mesures impliquant une interaction avec la réalité physique, qui peuvent être considérées comme techniques, et les étapes ultérieures de traitement des données (mathématiques ou cognitives), qui ne le sont pas.  Elle souligne que la simple génération de données supplémentaires (valeurs minimales et maximales de glucose) à partir de mesures déjà effectuées (mesures de glucose) ne produit pas d’effet technique, dans le contexte de l’invention. Cette décision marque un désaccord avec la jurisprudence antérieure T 2681/16 et critique les Directives de l'OEB sur les diagnostics automatisés.

Valérie Stephann, Conseil en Propriété Industrielle en Brevets, Novagraaf, Suisse 

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