Usage modifié d’une marque française de crèmes glacées
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La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 15 mai 2024 (pourvoi n°23-11.592), que l'usage du seul élément verbal "Cornet d'Amour" d'une marque semi-figurative (logo) enregistrée pour des crèmes glacées et biscuits, sans reproduire les éléments figuratifs de cornets, constitue un usage sérieux de cette marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif.
Un véritable cône d’ombre peut exister pour le titulaire d’une marque lorsqu’il s’agit de déterminer si l’usage modifié de sa marque peut valider l’usage sérieux de cette dernière.
Voici un arrêt en matière de crèmes glacées de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mai 2024 (Pourvoi n°23-11.592), qui outre son côté rafraichissant à la veille de l’été, pourrait rassurer les titulaires tentés de ne plus utiliser la partie figurative de leurs marques semi-figuratives.
Afin de briser la glace, voici un aperçu non-exhaustif des faits et questionnements sur lesquels porte l’arrêt :
Dans le cadre d’une guerre froide, remontant a minima à 2008, Monsieur Franck VERSCHAVE a invoqué notamment ses droits sur la marque française n°1525946 (déposée en 1954) pour des « Crèmes glacées, Biscuits » en classe 30 (ci-après désignée la ‘marque aux trois cornets’), en vue d’assigner la société « Le Cornet d'amour » devant le tribunal judiciaire de Lille en 2019, en particulier pour solliciter la nullité de la marque française « Le Cornet d'amour » n°4107974 du 14 juillet 2014 (couvrant, entre autres, des « pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires » en classe 30).
Tant le Tribunal judiciaire de Lille (par jugement du 15 avril 2021) que la Cour d’appel de Douai (par arrêt du 15 décembre 2022), ont rejeté la demande reconventionnelle en déchéance pour non-usage visant la ‘marque aux trois cornets’.
Il est question pour la Cour de cassation de vérifier si la disposition de l’article L.714-5 b) du Code de la Propriété Intellectuelle (dans sa version en vigueur à la date de l’assignation) a été correctement appréciée par la Cour d’appel lorsque l’usage, sous la seule forme verbale « Cornet d’Amour », été reconnu comme un usage sérieux n’altérant pas le caractère distinctif de la ‘marque aux trois cornets’, alors même que la représentation graphique des cornets de glace n’est plus utilisée.
Réponse de la Cour de cassation qui reste de glace pour confirmer le rejet de la demande en déchéance pour non-usage visant la marque aux trois cornets :
La position de la Cour d’appel est rappelée, à savoir que « dans le signe tel que déposé, l'élément verbal ‘cornet d'amour’ constitue l'élément distinctif de la [‘marque aux trois cornets’], l'élément figuratif n'étant qu'une simple reproduction du produit désigné à l'enregistrement, en noir et blanc, sans particularité ni stylisation ni couleur singulière, et constituant une illustration du terme ‘cornet d'amour’ » et que l’usage des termes ‘Cornet d’Amour’ au sein du logo (faisant lui-même l’objet d’un titre de marque française n°4400849 du 31 octobre 2017 du même titulaire), n'altère pas non plus le caractère distinctif de la ‘marque aux trois cornets’ (« la mention ‘cornet d'amour’ étant mise en avant de manière significative » dans ce second logo).
La Cour de cassation estime que la décision de la Cour d’appel n’est pas entachée d’illégalité en ce que l’appréciation globale de la ‘marque aux trois cornets’ et les qualités intrinsèques des composants de cette marque, permet de faire ressortir « que l'élément verbal ‘cornet d'amour’ en constituait l'élément distinctif et que son usage, seul ou dans le cadre du logo, n'avait pas modifié le caractère distinctif de ladite marque ».
Quels sont les enjeux en matière d’appréciation du caractère distinctif de la marque utilisée sous forme modifiée ? Une protection sans limite est-elle accordée aux dénominations verbales des marques semi-figuratives ?
L’objet de la disposition légale permettant d’utiliser une marque sous forme modifiée, tel que cela a notamment été défini et repris au sein de la jurisprudence des instances européennes, est de permettre au titulaire de la marque enregistrée, d’apporter les variations nécessaires à cette dernière, dans son usage, pour mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés, tant que le caractère distinctif de la marque antérieure n’est pas altéré.
Cette notion d’altération du caractère distinctif nécessite d’analyser qualités intrinsèques des éléments composants la marque enregistrée et plusieurs réflexions peuvent intervenir s’agissant de la ‘marque aux trois cornets’ :
- Quel que soit son caractère distinctif, il ne peut pas être contesté que l’élément figuratif apparait immédiatement perceptible dans ladite marque, la taille de cet élément figuratif étant six fois supérieure à celle de l’encart qui inclut les termes ‘Cornet d'Amour’.
De plus, la dénomination ‘Cornet d'Amour’ se situe en partie inférieure de la ‘marque aux trois cornets’ et apparait peu lisible, ce qui pourrait lui valoir de n’être vue que dans un second temps par le consommateur, en cas d’usage fidèle à la marque enregistrée ;
- Le caractère distinctif des termes ‘Cornet d'Amour’ ne pourrait-il pas être perçu comme étant limité ?
En fonction de la perception de chacun, le premier terme ‘Cornet’ pourrait être descriptif des « biscuits » ou très évocateur des « glaces » couverts par ladite marque, lorsque le second ‘d’Amour’ pourrait être appréhendé comme un message positif envers lesdits produits ou comme une déclinaison de l’expression « pomme d’amour » (elle-même usuelle dans le domaine des confiseries).
Par ailleurs, la lecture des propos suivants de la Cour d’appel pourrait induire cette faiblesse de caractère distinctif : l’ensemble figuratif de la ‘marque aux trois cornets’ devait être pris en considération uniquement en tant qu’« illustration du terme ‘cornet d'amour’ » et « l'élément figuratif [n’est] qu'une simple reproduction du produit désigné à l'enregistrement ».
Or, selon le Tribunal de l’Union européenne, plus le caractère distinctif de la marque enregistrée est faible, « plus il sera aisément altéré par l’adjonction d’un élément lui-même distinctif, et plus la marque en question perdra son aptitude à être perçue comme une indication de l’origine du produit. La considération inverse s’impose également » (arrêt du 13 septembre 2016, T‑146/15, point 29 et arrêt du 24 septembre 2015, T‑317/14, point 33).
Aussi, le retrait d’un élément faiblement distinctif dans l’usage d’un enregistrement de marque semi-figurative, qui est composée également d’un autre élément à la distinctivité limitée, pourrait potentiellement altérer le caractère distinctif dudit enregistrement de marque.
A l’aune de ces perceptions ou interrogations, il ne serait pas incongru d’arguer d’un certain équilibre au sein de la ‘marque aux trois cornets’ entre l’ensemble figuratif et l’ensemble verbal, le premier étant très dominant et très faiblement distinctif tandis que le second étant peu perceptible et d’une distinctivité, certes plus élevée, mais limitée.
Ressort en tout état de cause le caractère subjectif de l’appréciation du caractère distinctif d’un enregistrement de marque et de ses qualités intrinsèques.
Si vous utilisez votre enregistrement de marque sous une forme modifiée, n’hésitez pas à partager et confronter votre perception du caractère distinctif auprès de votre Conseil Novagraaf, afin d’éviter tout coup de froid dans votre protection.
Pierre Coppin, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France