Vins et unités géographiques: un casus belli pour la Cuvée du Golfe de Saint-Tropez

Par Florence Chapin,

Selon un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 4 avril 2018 et en application de la réglementation en matière d'AOP (Appellations d'origine protégée), une coopérative ne peut pas commercialiser des bouteilles de vins bénéficiant d’une AOP dont les étiquettes mentionnent les noms d’unités géographiques, si le cahier des charges de l’Appellation concernée ne prévoit pas cette possibilité.

La société coopérative LES VIGNERONS DE GRIMAUD a procédé au dépôt des marques verbales « CUVEE DU GOLFE DE SAINT TROPEZ » (en 1994 puis en 2004) et « LE GRIMAUDIN» (en 2003) et les exploitait régulièrement sur les étiquettes de ses vins bénéficiant de l’Appellation d’Origine protégée « Côte de Provence ».

wine bottle

Il a été reproché à la cave coopérative, et à son directeur, d'avoir mis en circulation plus d’un million de bouteilles de vin portant les étiquettes « Cuvée du golfe de Saint-Tropez » et « Port Grimaud», en contravention avec l'article 5 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles qui prévoit que :

L'étiquetage des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée peut mentionner le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée si les conditions suivantes sont remplies :

  1. Tous les raisins à partir desquels ces vins ont été obtenus proviennent de cette unité plus petite ;
  2. Cette possibilité est prévue dans le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée. L'étiquetage des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée peut mentionner le nom d'une unité géographique plus grande que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée si le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée le prévoit.

En l'espèce, l'inscription sur les étiquettes des mentions « Cuvée du Golfe de Saint-Tropez » et « Port-Grimaud », unités géographiques plus petites que l'AOP « Côtes de Provence », contrevient à ce principe dans la mesure où le cahier des charges de ladite appellation dispose que seulement quatre mentions peuvent être ajoutées à l’Appellation, à savoir : « Sainte-Victoire », « Fréjus », « La Londe » et « Pierrefeu ».

Après avoir constaté l’étiquetage non conforme de la société coopérative, la DIRECCTE a adressé une mise en garde à la société coopérative, demeurée sans effet.

La société LES VIGNERONS DE GRIMAUD et son représentant légal ont donc été poursuivis devant la juridiction de proximité de Fréjus qui a relaxé la coopérative en arguant du caractère fondamental du droit de propriété et a ainsi décidé que « dès lors que l’enregistrement des marques n’est entaché d’aucun motif de nullité et que l’usage de ces dernières est sérieux et utile, il faut en déduire que ces marques enregistrées par la société LES VIGNERONS DE GRIMAUD confère à leur titulaire un droit  exclusif d’utilisation dont on ne pouvait le priver par le décret précité »

La chambre criminelle de la Cour de Cassation a cassé ce jugement en rappelant en premier lieu qu’ « aucune disposition ne prévoit la possibilité de poursuivre l’utilisation d’une marque contenant ou consistant en un nom d’une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l’appellation ou de l’indication concernées lorsque cette marque n’est pas conforme aux règles que les Etats membres établissent en application des articles 67 et 70 du règlement du 14 juillet 2009 précité, concernant l’utilisation des unités géographiques ».

Ce nouveau dispositif constitue-t-il une atteinte disproportionnée au droit de propriété des titulaires de marques ?

La Cour de cassation précise que l’article 5 décret du 4 mai 2012 prévoit que l'étiquetage des vins bénéficiant d'une AOP ou IGP peut tout à fait mentionner le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation ou indication. Il appartient donc aux producteurs intéressés de demander la modification du cahier des charges en ce sens.

Dans la mesure où les opérateurs peuvent solliciter une modification du cahier des charges de leur Appellation, ils ne peuvent invoquer une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété sur des marques qu’ils détiendraient ou exploiteraient avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions.

Dans ces conditions, en cas de contrôle et de mise en garde de la DIRECCTE, les opérateurs ont un délai pour se mettre en conformité avec la règlementation et ce délai peut alors être mis à profit pour solliciter une modification du cahier des charges de l’Appellation concernée.

Au regard de ce qui précède, le choix d’un nom de cuvée, si secondaire qu’il puisse paraître dans certains cas, peut avoir de lourdes conséquences. Certaines situations peuvent être évitées par une stratégie adaptée en amont tant en terme de marque qu’en terme de règlementation vitivinicole.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à notre équipe spécialisée en droit des vins et spiritueux agence-bordeaux@novagraaf.com.

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