Brevetabilité des simulations : Qui trop embrasse mal étreint !

Par Valérie Stephann,
Foule de piétons en mouvement

Revenons sur la décision T489/14, à l’origine de la saisine de Grande Chambre de Recours G1/19 sur la brevetabilité des simulations, au travers de l’invention relative à une méthode de simulation du mouvement d’une foule de piétons dans un environnement.

L’invention porte sur une méthode qui utilise un modèle de l’environnement et fournit des informations calculées sur le mouvement simulé de piétons dans l’environnement modélisé. La simulation est utilisée dans la conception d’un bâtiment, par exemple un hall de gare, comportant une étape de révision d’un modèle du bâtiment en fonction d’un mouvement simulé d’une foule à travers le modèle de bâtiment.

La décision G1/19 confirme, dans le principe, la brevetabilité des procédés de simulation :

« Une simulation mise en œuvre par ordinateur d'un système ou d'un procédé technique qui est revendiquée en tant que telle peut, dans le but d'évaluer l'activité inventive, résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de la mise en œuvre de la simulation sur un ordinateur.

Pour cette évaluation, il ne suffit pas que la simulation soit basée, en tout ou partie, sur des principes techniques qui sous-tendent le procédé ou le système simulé.

Les réponses aux questions qui précèdent ne sont pas différentes si la simulation mise en œuvre par ordinateur est revendiquée en tant que partie d'un procédé de conception, en particulier dans le but de vérifier une conception. »

Mais G1/19 nous en dit davantage…

Dans la décision G1/19, la Grande Chambre de Recours donne des indications supplémentaires dans le but d’évaluer l’activité inventive d’une méthode de simulation. Notamment, elle indique (voir point 98) que des informations calculées reflétant l’état ou les propriétés physiques d’un objet physique sont de simples données qui pourraient être utilisées de différentes manières. Dans des cas exceptionnels, il peut y avoir une « utilisation technique implicite » de ces informations calculées qui pourrait être la base d’un « effet technique implicite ». Toutefois, en général, les données relatives à un effet technique calculé ne sont que des données qui peuvent être utilisées, par exemple, pour acquérir des connaissances scientifiques sur un système technique ou naturel, pour prendre des décisions éclairées sur des mesures de protection ou même pour obtenir un effet technique. Une revendication concernant le calcul d’informations techniques sans limitation à une utilisation technique (au moins implicite) soulèvera le plus souvent une objection du fait que l’objet revendiqué n’est pas une invention technique sur toute la portée de la revendication.

Comment l’affaire T489/14 applique-t-elle G1/19 ?

Dans l’affaire T489/14 (voir point 2.8), la Chambre de Recours se base sur les principes énoncés ci-dessus pour affirmer que les données produites par la méthode de simulation revendiquée, qui reflètent le déplacement d’une foule dans un environnement modélisé, ne contribuent pas à un effet technique pour l’évaluation de l’activité inventive, du fait que de telles données ont une utilisation potentielle non limitée à des buts techniques. En effet, elles peuvent être utilisées dans des jeux sur ordinateur ou présentées à un être humain pour acquérir une connaissance sur l’environnement modélisé, pour ne citer que deux exemples d’utilisation non technique qui entrent dans le cadre de la revendication. Il en résulte que l’invention revendiquée n’implique pas d’activité inventive.

Dans une requête subsidiaire, la simulation du mouvement d’une foule était utilisée dans un procédé de conception d’un bâtiment comportant une étape de révision d’un modèle du bâtiment en fonction du mouvement simulé de la foule à travers le modèle de bâtiment.

La Chambre de Recours conclut également à l’absence d’activité inventive du procédé de conception revendiqué du fait que l’étape de révision du modèle de bâtiment peut être réalisé par un être humain. Elle ajoute que la méthode de conception revendiquée produit des données représentant un modèle (révisé) d’un bâtiment et note que de telles données peuvent être utilisées dans une variété de buts non-techniques, par exemple dans des jeux vidéo, et n’ont par conséquent pas « d’utilisation technique implicite ».

Au final, que nous dit l’affaire T489/14 ?

En l’absence d’une limitation, au moins implicite, des revendications à une utilisation technique des données produites, que ce soit par la méthode de simulation du mouvement d’une foule ou par la méthode de conception d’un bâtiment utilisant cette méthode de simulation, la Chambre de Recours juge que la méthode de simulation et la méthode de conception revendiquées n’impliquent pas d’activité inventive.

En conclusion, une revendication formulée de manière si large qu’elle couvre n’importe quelle application des résultats de la simulation finit généralement par ne pas faire l’affaire lorsqu’il s’agit de déterminer si la simulation contribue au caractère technique de l’invention revendiquée, dans l’évaluation de l’activité inventive. Comme dit le proverbe, qui trop embrasse, mal étreint !

Conseils pratiques : Comment une méthode de simulation peut-elle contribuer au caractère technique de l’invention revendiquée, i.e. produire un effet technique qui sert un but technique, dans l’évaluation de l’activité inventive ?

  • Soit par l’utilisation technique envisagée des données produites par la simulation

La revendication doit indiquer (explicitement ou implicitement) comment les données de sortie de la méthode de simulation sont utilisées. Cette utilisation doit être technique.

  • Soit par la mise en œuvre technique spécifique de la simulation numérique

Le modèle ou l’algorithme de simulation peuvent être conçus sur la base de considérations relatives au fonctionnement interne du système informatique sur lequel ils sont mis en œuvre. La revendication doit indiquer comment le modèle ou l’algorithme de simulation sont spécifiquement adaptés pour exploiter le hardware du système informatique sur lequel ils sont mis en œuvre.

Ces conseils pratiques s’appliquent, de manière plus générale, aux méthodes mathématiques.

Valérie Stephann, Conseil en Propriété Industrielle en Brevets, Novagraaf Suisse

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