La faible défense des signes courts : le cas du K
Une lettre peut parfaitement constituer un signe protégeable à titre de marque pour autant qu’elle soit distinctive au regard des produits et services auxquels elle s’applique. Qu’en est-il cependant de la défense de tels signes courts ? Ce n’est pas toujours un exercice aisé, comme l'explique Fabienne Maucarré.
Dans son Arrêt du 9 novembre 2022 (affaire T-610/21), le Tribunal de l'Union Européenne (TUE) nous offre un éclairage instructif sur l'opposabilité d'une marque composée d'une seule lettre.
Contexte du litige
Rappelons brièvement les faits de cette affaire : Monsieur Heinze a déposé le 10 janvier 2018 auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété intellectuelle la marque de l’Union Européenne K - reproduite ci-dessous - pour couvrir notamment des produits en classe 3 tels que des shampooings :
Sur le fondement de cet enregistrement, son titulaire s’est opposé à l’enregistrement de la marque de l’Union Européenne K K WATER - reproduite ci-dessous - déposée le 10 juillet 2019 par la société L’Oréal pour désigner différentes préparations capillaires en classe 3 :
La division d’opposition a rejeté l’opposition au motif qu’il n’existait pas de risque de confusion entre les signes. Suite au recours formé par l’opposant contre cette décision, la chambre de recours a annulé la décision initialement rendue en considérant que les signes étaient similaires sur les plans visuel et phonétique.
C’est dans ces conditions que la société L’Oréal a formé un recours auprès du Tribunal afin d’obtenir l’annulation de la décision de la chambre de recours et l’enregistrement de sa marque.
Position du TUE
Par Arrêt du 9 novembre 2022, le TUE annule la décision de la chambre de recours rejoignant ainsi la position de la division d’opposition.
Plus précisément, le TUE estime qu’au sein de la demande de marque contestée, les éléments verbaux K WATER en position inférieure sont certes secondaires par rapport à l’élément dominant constitué de la lettre K mais que « leur importance ne saurait être réduite, jusqu’au point de les rendre, en réalité, négligeables et d’examiner la similitude des signes sur la seule base de leurs éléments dominants ». Le TUE indique que la combinaison K WATER n’est pas dépourvue de caractère distinctif et qu’elle doit donc être prise en considération.
Sur le plan visuel, le TUE ajoute que les signes diffèrent également de par le graphisme de la lettre commune K et les couleurs des éléments verbaux de la marque seconde.
Le TUE note par ailleurs des différences phonétiques (présence de K WATER au sein du signe contesté) et conceptuelles (WATER se référant à l’eau) entre les signes.
Bien qu’il s’agisse d’un signe court, il est intéressant de noter que le TUE considère que la marque antérieure possède un caractère distinctif intrinsèque normal et non faible du fait de l’absence de signification de la lettre K pour les produits désignés et de sa stylisation particulière.
Afin d’écarter tout risque de confusion entre les signes, le TUE rappelle que « le principe d’interdépendance ne devrait pas être appliqué de manière mécanique ». En d’autres termes, l’identité des produits en cause et le faible degré de similitude entre les signes ne suffisent pas nécessairement à créer un risque de confusion.
Le TUE conclut en précisant que reconnaître un risque de confusion entre les signes dans la présente affaire reviendrait à octroyer un monopole sur la lettre K pour des produits en classe 3.
Appréciation et conséquences de cette décision
Si certains pourront estimer à juste titre que cette décision est davantage sévère que celles déjà rendues en la matière, d’autres pourront y apprécier une forme de sagesse en ce que l’opposabilité d’une marque courte doit être limitée.
A défaut, le titulaire d’une marque constituée uniquement d’une lettre jouirait d’un monopole dans un secteur donné alors que l’alphabet ne compte que 26 lettres…
La présence commune et dominante d’une lettre ne suffit donc pas à créer un risque de confusion entre deux signes : il convient de prendre en considération leurs différences mêmes si elles sont secondaires.
Suite à cet Arrêt dont le raisonnement du TUE ne nous semble pas tiré par les cheveux, il sera intéressant de suivre la position des instances européennes en présence d’une marque de renommée constituée d’une seule lettre.
En attendant et de manière plus généreuse, notons que le TUE (Affaire T-25/22) a récemment jugé le 1er mars dernier qu’il existait un risque de confusion entre les marques ME et HE&ME pour des vêtements en classe 25 alors même qu’il était considéré que le signe ME constitué de deux lettres possédait un caractère distinctif faible.
L’ajout d’une seconde lettre changerait-elle réellement la donne pour la défense a priori restreinte des signes courts ou ne s’agit-il pas finalement d’une appréciation plus ou moins sévère au cas par cas ?
Pour obtenir des conseils personnalisés sur la protection des signes courts en tant que marques, adressez-vous à votre Conseil Novagraaf ou contactez-nous ci-dessous.
Fabienne Maucarré Conseil en Propriété Industrielle - Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France.