Les enjeux du choix d'une marque intégrant une indication géographique

Par Colombe Dougnac,
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Une marque ne peut être constituée exclusivement d’une indication géographique. Néanmoins, aucun texte n’empêche en tant que tel qu’une marque soit composée, entre autres éléments, d’une indication géographique. Colombe Dougnac vous informe sur les enjeux de l'enregistrement et de l'usage d'une marque intégrant une indication géographique en France ainsi qu’à l’international.

Une marque ne peut être constituée exclusivement d’une indication géographique, dans la mesure où ces dernières doivent rester dans le domaine public et laissées à la libre disposition de tous, sous réserve du respect du cahier des charges associé au produit ou service relavant de cette appellation.

Cependant, aucun texte n’empêche en tant que tel qu’une marque soit composée, entre autres éléments, d’une indication géographique. Au-delà de répondre aux conditions « classiques » du droit des marques imposées par l’article L711-2 du code de la propriété intellectuelle, le choix d’un tel signe implique néanmoins certaines contraintes supplémentaires quant à son enregistrement et son usage en France ainsi qu’à l’international.

Lorsqu’une société cherche à protéger à titre de marque une étiquette, et que le produit bénéficie d’une appellation, cette dernière apparait généralement sur l’étiquette et est par conséquent comprise au dépôt de la marque semi-figurative.

Il est à noter que l’insertion de cette mention au sein d’une marque verbale ou semi-figurative ne confère ni droit supplémentaire, ni protection additionnelle, ni monopole d’usage sur ce terme.

Le principe : la possibilité de déposer une marque incluant une appellation

L’une des conditions, afin que le signe ne soit pas considéré comme trompeur ou susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété de l'appellation, est que les produits désignés au dépôt d’un signe comprenant une indication géographique soient strictement limités dans la classe d’intérêt aux « produits bénéficiant de l’AO ou de l’IG en question ». 

De plus, lorsque le déposant envisage des projets à l’international, il convient également d’anticiper cette restriction dans le libellé choisi en s’assurant de :

  • la conformité de la traduction du libellé dans la langue d’intérêt qui doit être suffisamment protectrice des intérêts de l’Appellation mais également du titulaire.
  • l’acceptation de ce libellé par l’Office concerné dans la mesure où certains offices étrangers répondent à des critères d’acceptation de libellé plus restrictifs que d’autres (c’est le cas par exemple de pays comme la Chine, l’Australie, la Russie ou encore es Etats-Unis).

Enfin, il n’est pas possible d’inclure une appellation au sein d’une marque déposée pour produits autres que ceux bénéficiant de l’appellation ou encore pour d’autres produits, y compris lorsque l’appellation serait utilisée comme composant ou ingrédient d’un produit autre.

Les limites à la reprise d’une appellation au sein d’une marque

Plusieurs situations doivent être envisagées selon la manière dont l’appellation est reprise au sein du signe déposé et selon la nature des produits ou services désignés.

  1. L’évocation d’une appellation pour désigner des produits relevant de cette appellation

S’il n’est pas interdit de reprendre une appellation au sein d’une demande de marque, il semblerait qu’à la lumière des récentes décisions, la reprise de l’appellation doit être faîte dans son intégralité et à l’identique, sans jeu de mot ou évocation, afin de ne pas affaiblir sa notoriété, et ce même si la marque désigne des produits relevant effectivement de cette appellation et dont les produits seraient conformes au cahier des charges.

En effet, aux termes de l'article L.722-1 du code de la propriété intellectuelle, tout atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l'Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur.

Plusieurs récentes décisions ont été rendues en la matière et illustrent cette limite :

  • Cour d'appel de Paris, 26 mai 2023, RG n° 21/09232 : la société Newrhône Millésimes vend des vins bénéficiant des appellations « Côtes du Rhône » notamment sous la marque verbale « NEWRHONE » n°4425084. L’usage de cette marque (ainsi qu’une seconde marque semi-figurative) par la société Newrhône Millésimes a été considéré comme portant atteinte aux appellations d'origine protégées « Côtes du Rhône » ou « Côtes du Rhône Villages ». La Cour d’appel a jugé que la dénomination enregistrée dans le Cahier des charges ne peut être utilisée qu’à l’identique, sans imitation ou évocation possible. En application des articles 103 2) du Règlement européen 1308/2013 et 2 du décret du 13 septembre 1968 pris en application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes, « un vin conforme à un Cahier des charges et bénéficiant d’une appellation d’origine ne peut faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée, tout autre usage n’étant pas autorisé, qu’il s’agisse d’une imitation ou d’une évocation et que cette imitation ou évocation porte sur l’un ou l’ensemble des composants d’une appellation ».

En l’espèce, selon la Cour, le consommateur serait susceptible d’établir un lien suffisamment direct et univoque entre la marque et l’appellation, laquelle serait reproduite de manière non identique aux dispositions du cahier des charges et susceptible d’affaiblir son attractivité et sa notoriété.

Selon une jurisprudence constante, la notion d'évocation recouvre une hypothèse dans laquelle le signe utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d'une indication géographique protégée (IGP) ou d'une AOP, de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit en cause, serait amené à avoir à l'esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de cette indication ou de cette appellation.

Cette position a été récemment confirmée par le Directeur de ’INPI concernant une demande de marque française COGNAPEA.

  • INPI, 26 août 2022, OP 22-0433, Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) c. Cognapea SCEA : en l’espèce, le signe complexe contesté COGNAPEA, appliqué à des « Eaux-de-vie bénéficiant de l'indication géographique "Cognac" », évoque l’indication géographique Cognac. Selon le Directeur de l’INPI, ce signe qui incorpore partiellement l’appellation COGNAC « présente d’importantes ressemblances visuelles et phonétiques et désigne des produits identiques. Il en résulte qu’appliqué à ces produits, ce signe apparaît manifestement de nature à créer, dans l’esprit du consommateur concerné, un lien direct et univoque avec l’indication géographique invoquée, de telle sorte que le consommateur aura immédiatement et directement à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette indication géographique. Un tel lien apparaît d’autant plus immédiat et évident que ce produit jouit en outre d’une forte notoriété, notamment en France ». En conséquence, il a été décidé que la marque en cause serait de nature à dénaturer l’appellation et risquerait d’entraîner un affaiblissement de sa réputation en la banalisant.
  1. L’évocation d’une appellation pour désigner des produits ne relavant pas de cette appellation

L’appellation bénéfice d’un périmètre de protection plus large que le droit des marques.

En effet, l'article 103 2) du Règlement européen 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, prévoit que les usurpations, imitations ou évocations sont interdites même si l'origine véritable du produit ou du service est indiquée, et ce même si la dénomination est utilisée sous forme de traduction ou accompagnée d'une mention telle que "«genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», «goût», «manière» ou d'une expression similaire »" écartant un éventuel doute sur la qualité et l’origine des produits.

Ainsi, contrairement au droit des marques, la preuve d’un risque de confusion n’est pas requise en matière d’appellation. Il a été ainsi jugé dans les décisions ci-dessous référencées, que les signes faisant référence à une appellation et ainsi y portant ne pouvaient être appropriés à titre de marque, et ce même sans apporter la preuve d’un risque de confusion :

  • CJCE, 4 mars 1999, aff. C-87/98 : interdiction de la dénomination "Cambozola" évoquant l'AOP "Gorgonzola", peu importe la mention de l'origine non italienne du fromage ;
  • CJCE, 26 févr. 2008, aff. C-132/05 : protection de l'AOP "Parmigiano Reggiano" sous sa forme traduite de "parmesan" ;
  • CJUE, 7 juin 2018, aff. C-44/17, Scotch Whisky Association : concernant l’interdiction de l’usage de la dénomination « Glen Buchenbach » pour un whisky :
  • CJUE, 2 mai 2019, aff. C-614/17, Queso Manchego : concernant la reprise d’éléments visuels appartenant à l’univers de l’appellation, et non les éléments verbaux ;
  • CJUE, 9 sept. 2021, aff. C-783/19, Champanillo pour désigner des services de bars et de restaurant.

Il en a été de même en début d’année pour l’Office du Tourisme du Luberon Monts de Vaucluse qui a été condamnée pour usage illicite de l’expression « Cœur de Provence » pour promouvoir les vins ou domaines viticoles du Luberon et du Ventoux, ne bénéficiant donc pas de l’une des AOP contenant le terme Provence, pour atteinte aux AOP Côtes de Provence, Les baux de Provence, Coteaux Aix en Provence et Coteaux Varois en Provence (TJ de Nanterre, 23 janvier 2023).

La protection de la marque incorporant une indication géographique à l’international

Il est à noter que la mention d’une indication géographique est susceptible à l’international, lorsque la marque initiale est étendue à l’étranger, d’exposer le déposant à des risques de refus d’enregistrement, en particulier sur des marchés où l’appellation est reconnue en tant que marque collective ou en marque simple lorsque la protection ou la défense de l’appellation ne peut être envisagée à titre autonome.

Ainsi, la reprise d’une appellation au sein d’un signe peut être bloquante pour l’enregistrement de la marque, et ce même si le signe respecte les conditions de reproduction et de désignation des produits et services, dans les cas suivants :

  • Lorsque le territoire désigné est dit un pays à citation, c’est-à-dire que l’Office va citer d’éventuels droits de marques antérieurs qu’il considère comme identique ou similaire. Dans ces territoires, l’existence d’une indication géographique est susceptible de faire obstacle à l’enregistrement de la marque antérieure :
    • Si l’appellation a été déposée à titre de marque en l’absence de régime spécifique et reconnu de l’appellation sur le territoire en question : et/ou
    • Si d’autres marques antérieures ont été déposées et reprennent une appellation identique.
  • Lorsque l’appellation fait l’objet d’une protection dans le territoire désigné au titre de la marque collective (par exemple COGNAC en Chine où depuis le 2 septembre 2021, la Cour chinoise de Chengdu a reconnu que l’importation et la vente de faux produits portaient atteinte à la marque collective « Cognac »).

La reprise d’une indication géographique au sein d’une marque n’est donc pas sans conséquence, et il convient de les anticiper en amont et avant tout dépôt et/ou exploitation.

Si vous avez des questions sur la manière dont les droits de propriété industrielle pourraient soutenir votre entreprise de vins ou de spiritueux, contactez nos spécialistes en Droit de la vigne et du vin : agence-bordeaux@novagraaf.com ou visitez notre site dédié à la PI des vins et spriritueux.

Colombe Dougnac, Conseil en Propriété Industrielle, Conseil Européen en Marques, Dessins et Modèles Novagraaf, Bordeaux.

Pour plus d'informations, vous pouvez consulter notre article "Utiliser des produits bénéficiant d'une Appellation d'Origine : précautions d'emploi !".

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