PI et contre-culture : Qui possède un tatouage ?

Quand il s’agit de tatouages, la question qui revient est de savoir qui en a un et ou - mais qu’en est-il de l’artiste qui en a créé le design ? Alastair Rawlence rétablit l'équilibre sur cette épineuse question.

Toute création a de la valeur, mais toutes les entreprises ne comprennent pas les implications de la PI susceptible de protéger cette création - ni l'attrait de son créateur pour la protection. Cette déconnexion est particulièrement perceptible dans les zones qui sont encore considérées comme situées en dehors des limites de l'activité " normale " ; les graffitis en sont un exemple, les tatouages en sont un autre.

L'encre dans le grand public

Alimenté en partie par son adoption enthousiaste par les rockstars et les acteurs, l'art corporel n'est plus considéré comme alternatif ou non conventionnel comme il a pu l’être par le passé. Prenez un magazine ou parcourez les colonnes people en ligne et vous lirez invariablement les nouvelles des derniers modèles de tatouages qui ornent tout le monde, des chanteurs aux vedettes du sport.

Nombre de créations de tatouages ont été favorisées par les célébrités et ont ruisselé plus bas dans tous types de milieux et très probablement, au dos, à la cheville, au bras ou à la jambe d’un de vos proches. Toutefois, comme pour la plupart des créations, la frontière entre imitation et contrefaçon est mince.

Tatouer une célébrité peut conférer à l'artiste tatoueur, une opportunité de mettre en valeur son talent et ainsi contribuer à sa réputation. Cependant, le tatouage deviendra généralement indissociable du corps qu'il orne et ce, à tel point que peu d'imitateurs ou de publicitaires tiendront compte des droits de propriété intellectuelle du tatoueur lorsqu'ils copieront ou s'inspireront de ses dessins.

Un tel mépris a pu traditionnellement être occulté dans le monde autrefois hostile à l'art du tatouage mais aujourd'hui, ce type de contrefaçon est suffisamment médiatisé pour attirer l'attention de l'artiste tatoueur et donner lieu à des poursuites judiciaires.

Une frontière très mince

Le différend très médiatisé aux États-Unis entre le tatoueur S. Victor Whitmill et le studio à l'origine du film « The Hangover Part II » (VERY BAD TRIP 2)  n'est qu'un exemple très médiatisé de la reconnaissance par un tatoueur de la valeur et de la nécessité de faire valoir ses droits de propriété intellectuelle contre toute copie non autorisée.

Le dessin tribal sur le visage d'un personnage principal du film a été rendu célèbre parce qu'il s'agit du jumeau d'un tatouage arboré par Mike Tyson, ancien champion des poids lourds, mais c'était de la permission du tatoueur dont les cinéastes avaient besoin pour le reproduire. Alors que les deux parties sont finalement parvenues à un règlement " à l'amiable " du litige, la société Warner Bros a été tellement préoccupée par le dépôt de plainte, qu'elle a déclaré dans un dossier judiciaire que le studio allait modifier numériquement la conception du visage pour le lancement du DVD.

Il y a vraisemblablement de nombreux antécédents pour que Warner Bros s'inquiète de la sorte. Une poursuite pour violation du droit d'auteur aux États-Unis découlant d'une publicité qui portait sur le bras tatoué du joueur de basket-ball professionnel Rasheed Wallace a été portée devant les tribunaux américains en 2005. L'allégation indiquait clairement que Matthew Reed, l'artiste tatoueur, avait le droit de faire valoir une violation de son droit d'auteur fondée sur ce tatouage, même si Wallace a soutenu qu'il avait aidé à créer le dessin en suggérant le thème initial ainsi que des modifications aux croquis de Reed.

En effet, la plainte de Reed a été déposée non seulement contre Nike et son agence de publicité (pour avoir copié, produit, distribué et exposé publiquement l'œuvre protégée par le droit d'auteur de Reed sans le consentement de Reed), mais aussi contre Wallace pour violation du principe de divulgation. Cette action est initialement fondée sur la description effectuée par Wallace qui prétendait être l’auteur exclusif du tatouage en le présentant comme tel à Nike et dans l'annonce, on le voyait décrire et expliquer la signification derrière le tatouage.

Dépasser la marque

Plus récemment, la société à l'origine du jeu vidéo NBA 2K a été poursuivie en justice pour violation du droit d'auteur pour son utilisation non autorisée de dessins de tatouage. Solid Oak Sketches, qui prétend posséder certains des dessins des tatouages arborés par des stars de la NBA telles que LeBron James, Kobe Bryant et Kenyon Martin a exigé plus de 1,1 million de dollars US pour une licence d'utilisation des dessins de tatouage dans le jeu vidéo.

Un autre cas très médiatisé d'infraction liée au tatouage a amené Nike à annoncer qu'elle retirait une ligne de jambières et de soutien-gorge de sport inspirés de tatouages tribaux des Fidji, Samoa et Nouvelle-Zélande, suite à un tollé et une pétition en ligne des communautés du Pacifique. Une grande partie de la plainte déposée par des membres de la communauté samoane découlait de la méconnaissance de l'utilisation du motif du tatouage car les jambières destinées aux femmes utilisaient un motif similaire à celui de la pe'a - un tatouage traditionnel réservé dans leur culture aux hommes.

Entre-temps, en Europe, un cas belge de 2009 a efficacement mis en lumière la distinction entre les droits de l'artiste tatoueur de reproduire son dessin et les droits de la personne qui porte ledit tatouage. L'affaire a mis en évidence qu'en droit belge, il existe une différence entre le droit d'auteur sur la conception du tatouage et le droit d'auteur sur la conception appliquée au corps. En effet, dans sa décision, la Cour d'appel de Gand a jugé que l'artiste tatoueur qui a créé le motif avait le droit de reproduire le motif sur d'autres personnes, mais n'avait pas le droit d'empêcher que la personne à qui le tatouage avait été appliqué soit photographiée et que ces photographies soient diffusées.

Conseiller l'artiste et voir plus grand que le droit d'auteur

À l'exception des tatouages tribaux fondés sur un droit autochtone ou des dessins transférés à une autre partie par cession, les droits de PI sur les œuvres d'art dans le domaine des tatouages appartiendront à l'artiste qui les a créés, à condition qu'ils respectent les exigences du droit d'auteur. Pour ce faire, il doit être " fixe " (c'est-à-dire permanent) et " original ", bien que le seuil pour ce dernier soit assez bas.

Comme l'ensemble de leurs tatouages sera invariablement admissible à la protection du droit d'auteur, en théorie, il n'y a rien que les artistes tatoueurs doivent faire pour prouver la subsistance de ce droit, si ce n'est de tenir des registres de leurs dessins et de leurs dates de création. Toutefois, un dessin de tatouage peut également être admissible à la protection en tant que marque s'il satisfait aux exigences d'une intention véritable d’usage : par exemple, l'utilisation dans la commercialisation dans le cadre d'une gamme de produits de marque. Il peut également fonctionner comme un droit de dessin ou modèle lorsque le tatouage satisfait à l'exigence de nouveauté.

En effet, comme l'art du tatouage de haute qualité est sophistiqué et unique à l'artiste individuel, les créations des tatouages peuvent être utilisées pour une large gamme de produits, de la vaisselle aux articles de mode, textiles et bijoux. Tout produit nécessitant une décoration peut être admissible.

Cependant, si l'artiste tatoueur souhaite utiliser un dessin de tatouage comme marque de commerce pour des produits et services, ces dessins et modèles devraient également être protégés par l'enregistrement de la marque. Ceci est crucial pour beaucoup d'artistes tatoueurs car les marques de commerce leur permettront de bâtir leur entreprise et leur réputation, et peuvent être concédées sous licence à des tiers pour une vaste gamme de produits.

Tout tatoueur qui cherche à se bâtir une réputation pour lui-même ou pour son studio devrait également chercher à obtenir la protection d’une marque pertinente pour son nom d'entreprise ou de studio. L'enregistrement de leur nom personnel comme marque de commerce est d'une importance particulière, car la réputation des studios de tatouage a tendance à reposer sur le nom du tatoueur plutôt que sur celui de la compagnie ou du studio. Le célèbre tatoueur Louis Molloy - l'artiste à l'origine du tatouage dorsal de David Beckham " Ange Gardien " - a son nom " Lou Molloy" protégé par un simple mot ou une signature, par exemple par des enregistrements de marques européennes.

Dans le cas de Molloy, ces enregistrements de marques couvrent les secteurs de l'habillement, des cosmétiques, des textiles et des soins de la peau, et des produits portant les dessins distinctifs de Louis Molloy ont été utilisés pour des articles d’ameublement de la maison, comme les coussins, les vêtements (y compris les T-shirts, les sweatshirts et les T-shirts) et les dessins de tricots pour les gens comme John Smedley. Louis Molloy concède également des licences pour ses conceptions de tatouage via son site Web et vend au détail une gamme de soins du corps,'Forever Ink'.

Plus qu'une toile

Mais qu'en est-il des célébrités elles-mêmes ? Après tout, elles n'ont pas choisi leur ornement dans le but d'être une publicité ambulante pour l'artiste tatoueur. La créativité et l'habileté de l'artiste mises à part, ce tatouage existe en raison du goût et du désir de l'individu d'être différent ou de commémorer quelqu'un ou quelque chose, par exemple. Sans surprise, la toile pour cet art peut sentir qu'elle a quelque chose à voir avec le fait d'avoir rendu ce dessin célèbre ou, du moins, qu'elle a été impliquée dans sa création en collaboration avec le tatoueur.

Si c'est le cas et qu’une célébrité porte une conception personnalisée créée par le tatoueur qu'elle souhaite pouvoir l’exploiter à n'importe quel moment, elle devrait, en toute logique solliciter une cession du copyright de ce tatoueur et de préférence, au moment de la commande. S'ils ne le font pas, ou choisissent de ne pas le faire, ils peuvent alors constater que la publicité, les conceptions d'emballage, le matériel promotionnel, etc. mettant en exergue ce tatouage enfreignent les lois sur le droit d'auteur, les marques ou les dessins et modèles alors même que ces droits peuvent protéger les intérêts de l'artiste tatoueur dans le tatouage - et le dessin, le croquis ou le design qui le précède.

Certains tatoueurs peuvent ne pas être au courant des droits de Propriété Intellectuelle qui existent sur leurs tatouages ou peuvent choisir d'ignorer toute violation en raison du bénéfice qu'ils en retirent grâce à l’exposition de leur travail. Toutefois, comme l'ont montré des cas récents, le vent a commencé à tourner. Les futurs annonceurs qui négligent ces droits le font désormais à leurs risques et périls.

Alastair Rawlence – Conseil en propriété Industrielle Marques du bureau de Novagraaf à Manchester

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