Rappel sur la position distinctive autonome

Par Ericka Winogradsky,
deux bouteilles de parfum

Le tribunal judiciaire de Paris s'est récemment prononcé sur le risque de confusion pouvant exister entre deux marques dont la seconde est composée de la marque première en combinaison avec un autre terme. Une décision rare qui mérite d'être ici brièvement développée puisqu'elle illustre la notion de position distinctive autonome en droit des marques.

Contexte des marques

En l'espèce, la société PUIG, titulaire des marques de parfums Jean Paul Gaultier, lance en Août 2023 un parfum dénommé "GAULTIER DIVINE".

PUIG est en outre titulaire de plusieurs marques ayant effet en France, enregistrées en classe 3 pour des produits de parfumerie "GAULTIER DIVINE".

Toutefois, Monsieur Mouchel est titulaire d'une marque française antérieure "DIVINE" également enregistrée en classe 3 pour des produits identiques et similaires.

Suite au lancement du nouveau parfum "GAULTIER DIVINE", Monsieur Mouchel agit en contrefaçon et demande la nullité de la marque française GAULTIER DIVINE pour les produits de parfumerie.

Éclairage juridique sur la position distinctive autonome

Pour se prononcer, le tribunal rappelle tout d’abord la jurisprudence de la CJUE selon laquelle : « un risque de confusion peut exister dans l’esprit du public, en cas d’identité des produits ou des services, lorsque le signe contesté est constitué au moyen de la juxtaposition, d’une part, de la dénomination de l’entreprise du tiers et, d’autre part, de la marque enregistrée, dotée d’un pouvoir distinctif normal, et que celle-ci, sans créer à elle seule l’impression d’ensemble du signe composé, conserve dans ce dernier une position distinctive autonome » (CJUE - 9 juin 2005, LIFE/THOMSON LIFE, C-120/04)

Dans ce même arrêt, la CJUE avait en outre précisé : « qu’un élément d’un signe composé ne conserve pas une telle position distinctive autonome si cet élément forme avec le ou les autres éléments du signe, pris ensemble, une unité ayant un sens différent par rapport au sens desdits éléments pris séparément ».

Ainsi, en l’absence de tout indivisible, d'unité de sens, entre les éléments du signe composé, chaque élément conserve une position distinctive autonome.

Le tribunal judiciaire de Paris considère ici que « l’absence de combinaison de sens entre les deux mots GAULTIER et DIVINE, la mise en valeur prépondérante de DIVINE sur les représentations contestées versées au débat, son pouvoir distinctif intrinsèque et le fait que GAULTIER soit également une marque ombrelle » caractérisent la position distinctive autonome de « DIVINE ».

Comparaison avec un précédent cas de position distinctive autonome

Par conséquent, il existe un risque de confusion dans la mesure où les "produits commercialisés sous la marque Gaultier divine dont un élément en position distinctive autonome est identique à la marque antérieure Divine, d’une telle façon que le public concerné, la comprendra comme signifiant Divine par Gaultier, et sera donc enclin à croire que ces produits ont une origine commune ou proviennent, à tout le moins, d’entreprises liées économiquement ».

L'adjonction d'une marque, même renommée, à une marque antérieure ne suffit donc pas à écarter tout risque de confusion dans l'esprit du public.

Le tribunal interdit à Puig l’usage du signe Divine, seul ou accompagné du signe Gaultier, ordonne le retrait des produits ainsi marqués des circuits de distribution en France et annule la marque verbale française pour les produits identiques et similaires aux parfums visés en classe 3.

Dans une précédente affaire, monsieur Mouchel, qui semble défendre activement ses droits sur sa marque "DIVINE", n'avait en revanche pas obtenu gain de cause. En effet, en 2015, l'INPI saisi d'une opposition contre la marque "HARMONIE DIVINE" avait considéré qu'il n'existait pas de risque de confusion avec la marque française antérieure "DIVINE" dans la mesure où : "le terme HARMONIE forme avec le terme DIVINE un ensemble unitaire ayant une signification propre et différente de celle de la marque antérieure ; Qu’en effet, le terme DIVINE commun aux deux signes, se trouve associé au terme HARMONIE dans le signe contesté, pour constituer une expression formée selon les règles grammaticales habituelles, et ayant une signification propre, à savoir celle d’un équilibre ou d’un accord divin" (INPI, 15 décembre 2015, OPP 15-1870)

Cette décision faisait également application de la jurisprudence de la CJUE Thomson Life prenant en considération la signification propre et différente de la marque seconde par rapport à la marque première.

Évaluation des risques de confusion entre deux marques

En conclusion, lors de la comparaison entre deux marques, dont l’une reproduit l’autre avec l’adjonction d’un élément supplémentaire, il convient de considérer les marques dans leur ensemble en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants. Si la marque reproduite n’est pas dominante au sein du signe contesté, le risque de confusion sera difficilement reconnu. En revanche, si l’élément commun conserve une position distinctive autonome, alors le risque de confusion pourra exister.

La parade de certains titulaires consistant à adjoindre leurs marques, souvent renommées, à un terme que l'on souhaite utiliser et pourtant déjà enregistré à titre de marque par un tiers est donc à manier avec précaution !

Ericka Winogradsky, Conseil en Propriété Industrielle - Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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