Treets, ou le réveil licite d’une belle endormie

Par Alexis Thiebaut,
Marque Treets - Mars vs Lutti-Piasten | article Novagraaf

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Dans un jugement du 20 décembre 2023, le Tribunal Judiciaire de Paris a validé le retour des fameuses cacahuètes enrobées de chocolat Treets par Piasten et Lutti… alors même que la marque était initialement la propriété de Mars. Alexis Thiebaut soulève ici des questions sur la protection des marques abandonnées et la nécessité d'une renommée active pour préserver les droits.

Un retour surprenant : les Treets reviennent sur le marché

Contexte

Lancée dans les années 1960 au Royaume-Uni par Mars, Treets est rapidement devenu un produit phare de cette société, notamment grâce à son slogan « Fond dans la bouche, pas dans la main ! » :

visuel de la publicité des années 60 avec un jeune garçon qui mange des Treets

Finalement remplacée par la marque M&M’s en 1986, les produits Treets disparaissent alors de nos rayons ; mais c’était sans compter sur leur retour en 2017 par Piasten (fabricant) et Lutti (distributeur) et le redépôt de nombreuses marques Treets par Piasten et notamment de la marque internationale TREETS n°1368068, déposée le 17/08/2017, désignant notamment l’Union Européenne.

Estimant que sa marque Treets disposait encore d’une renommée résiduelle et que cet usage et ces dépôts étaient de nature à porter atteinte à ses droits, Mars a assigné les sociétés Lutti et Piasten sur de nombreux fondements (notamment nullité des marques pour caractère trompeur et pour dépôts effectués de mauvaise foi, concurrence déloyale et parasitaire).

Un héritage contesté : l'affaire Treets

Position du Tribunal Judiciaire de Paris

Dans son jugement du 20 décembre dernier, le Tribunal Judiciaire de Paris a purement et simplement débouté Mars de toutes ses demandes.

Il a en effet été considéré que :

  • Mars avait été informée de la volonté de la société Piasten d’utiliser le signe Treets, du fait de négociations antérieures ayant, de façon assez peu surprenante, échoué et que la pratique mise en œuvre par Piasten et Lutti était en réalité une pratique commerciale usuelle dans la vie des affaires. Les dépôts effectués par ces deux sociétés n’ont donc pas été effectués de mauvaise foi, d’autant qu’elles avaient proposé de ne pas utiliser un emballage jaune.
  • Les dépôts effectués par ces deux sociétés ne sont pas non plus trompeurs, dès lors que la nouvelle marque Treets est la seule sur le marché français et que la renommée résiduelle des marques de Mars est insuffisante.
  • Les agissements de Lutti et Piasten ne sont pas non plus constitutifs d’actes de concurrence déloyale et parasitaire, Mars n’ayant pas fait usage de la marque Treets depuis plus de 30 ans. Le Tribunal relève également que Mars n’a pas prouvé les investissements effectués pour conserver la notoriété attachée à ses produits Treets.  

Les Treets : une histoire de droits et de renommée

Jurisprudence antérieure

Il est relativement rare que les instances françaises ou européennes soient amenées à se prononcer sur une telle problématique.

Ceci étant, le TUE a pu récemment adopter une position similaire (06/07/2022, T-250/21, Ladislav Zdút / EUIPO), dans une affaire concernant la marque NEHERA.

A l’origine, ce nom avait été déposé par Jan NEHERA, citoyen tchèque, et avait été utilisé pour désigner des vêtements, commercialisés en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique. Suite à une nationalisation de cette entreprise en 1946, un nouveau nom a été adopté et la marque NEHERA a été abandonnée. C’est finalement en 2013 qu’un citoyen slovaque a procédé au dépôt de la marque de l’Union Européenne n°011794112 (ci-dessus), sous un logo identique à celui utilisé par Jan NEHERA dans les années 20 :

En Juin 2019, les héritiers de Jan NEHERA agissent en nullité contre cette marque auprès de l’EUIPO, considérant que ce dépôt avait été effectué de mauvaise foi.

La division d’annulation de l’EUIPO a rejeté cette action, avant que la Chambre de Recours ne prononce la nullité de cette marque. Cette dernière a en effet considéré que le déposant de la nouvelle marque NEHERA avait voulu tirer indûment profit de la renommée résiduelle de la première marque.

Le TUE a finalement rejoint la division d’annulation et a rejeté cette demande de nullité, faute pour les héritiers d’avoir réussi à prouver la renommée résiduelle de la première marque NEHERA. De la même façon, il a été considéré que la simple connaissance de l’existence de la marque antérieure NEHERA et de sa renommée passée, n’était pas suffisante pour considérer la seconde marque comme ayant été déposée de mauvaise foi.

A contrario, dans un arrêt du 08 mai 2014 (T-327/12, Simca Europe LTD / OHMI et GIE SPA Peugeot Citroën), le TUE avait jugé que le dépôt de la marque SIMCA n°006489371 en classe 12 avait été effectué de mauvaise foi, compte tenu de la notoriété attachée à la marque SIMCA lancée en 1934. 

La décision du Tribunal Judiciaire de Paris et le parallèle avec la jurisprudence antérieure

Discussion

Au regard de ce qui précède, il semble que les instances françaises et européennes soient plutôt favorables au réveil des belles endormies par des tiers.

Dans cette dernière affaire, il est en effet important de préciser que le déposant de la seconde marque SIMCA avait requis une compensation financière du titulaire initial pour procéder au retrait de sa marque, ce qui peut facilement expliquer l’annulation de cette marque.

Dans le cas de l’affaire Treets, il nous semble que la position adoptée par le Tribunal Judiciaire est particulièrement sévère pour Mars. En effet, au-delà du nom Treets, la couleur du nouvel emballage ne diffère que très peu de l’original, de même que la police ou encore la présentation générale du pack :

Mars Lutti - Piasten

Par ailleurs, le lancement en 2017 des nouveaux Treets a été accompagné de nombreux articles faisant référence à Mars et à son ancienne marque.  

Le public pertinent pouvait donc, à notre sens, effectuer aisément un lien entre l’ancienne et la nouvelle marque.

Certes, il appartient bien au titulaire d’une marque d’en faire un usage sérieux, mais une exception au principe de l’obligation d’usage ne pourrait-elle pas être envisagée pour les marques jouissant d’une renommée, même plusieurs années après leur abandon ?

Le droit des marques connait déjà plusieurs exceptions à ses grands principes. Ainsi, une marque jouissant d’une renommée dispose d’une protection allant au-delà du principe de spécialité et une marque notoire dispose d’une protection en l’absence de tout enregistrement.

Les mécanismes de la concurrence déloyale et parasitaire et de l’action en nullité pour dépôt de mauvaise foi restent bien entendu envisageables, mais le Tribunal Judiciaire de Paris laisse ici sous-entendre que pour engager de telles actions, le titulaire de la marque première devrait avoir conservé une position active sur le marché et avoir effectué des investissements pour que sa marque conserve une renommée résiduelle ; ce qui semble relativement contre-intuitif pour une société ayant justement abandonné sa marque. 

Une telle exception au principe d’usage pour des marques jouissant encore d’une renommée devrait donc à notre sens être justifiée par les investissements passés effectués par le titulaire initial ; investissements qui produiraient encore des années plus tard des effets dans l’esprit des consommateurs. 

Il nous semble par ailleurs que par nature de telles reprises de marques anciennes sont justement effectuées pour profiter de leur renommée résiduelle et du lien que le public reste capable d’effectuer entre la marque première et la seconde.

Mars ne devrait toutefois pas manquer d’interjeter appel du jugement du Tribunal Judiciaire de Paris, ce qui pourrait donner lieu à une position inverse.

Affaire à suivre donc…

Alexis Thiebaut, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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