Défaut d’inscription d’un transfert ou d’une licence de brevet(s) : sanction et portée
Paris, pôle 5, chambre 2, 9 sept. 2022, n°20/12901.
Faute d’avoir inscrit le transfert des brevets sur le registre national, le titulaire et demandeur à l’action en contrefaçon ne dispose pas de droits opposables aux tiers qu’il prétend contrefacteurs. L’assignation introduisant l’action en contrefaçon et les faits poursuivis étant antérieurs à l’inscription du transfert, le titulaire ainsi que le licencié exclusif sont déclarés irrecevables en leur action en contrefaçon.
Trois brevets portant sur des éléments de manettes de consoles de jeux avaient été transférés le 1er avril 2010 par une société dans le cadre d’une opération de scission-création régie par le droit japonais à une nouvelle société du même groupe. Des licences exclusives sur ces mêmes brevets avaient été concédées à une troisième entité britannique laquelle vend les produits à une quatrième société française, distributeur exclusif sur le territoire français.
En novembre 2016, le nouveau propriétaire des brevets fait procéder à un procès-verbal constat d’achat sur le site internet d’un tiers commercialisant des produits similaires et sur la plateforme Amazon. Le mois suivant, le nouveau propriétaire obtient l’autorisation de réaliser une saisie-contrefaçon au siège social du tiers et fait exécuter cette opération les 19 et 20 décembre. Le 19 janvier 2017, une assignation en contrefaçon est finalement délivrée par le nouveau propriétaire, son licencié et le distributeur français. Ce n’est que le 13 août 2018 que le propriétaire procède à l’inscription de la cession des brevets sur le registre de l’INPI.
Cette inscription tardive de la cession sur le registre national est sanctionnée par la Cour d’appel de Paris, laquelle rappelle que « tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit Registre national des brevets, tenu par l'Institut national de la propriété industrielle. […] »[1].
La sanction retenue par la Cour d’appel
Visant les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, les juges rappellent que tant que la cession de brevets n’a pas fait l’objet des mesures de publicité requises, le propriétaire est dépourvu du droit d’agir en contrefaçon contre des tiers. L’absence d’inscription au registre des brevets du transfert constitue alors une fin de non-recevoir excluant tout examen au fond de l’existence de la prétendue contrefaçon.
Dès lors, ni l’entité encore inscrite au RNB, ni le nouveau propriétaire des brevets n’étaient recevables à agir en contrefaçon, la première n’était plus propriétaire à la date de réalisation des faits prétendument contrefaisants[2], le second ne disposant alors pas encore de droits opposables aux tiers.
S’agissant des actes devant faire l’objet d’une publication, l’on pense spontanément à la conclusion d’une cession d’un brevet. Pour autant, la Cour d’appel rappelle ici la lettre de l’article L. 613-9 du code de la propriété intellectuelle en ce qu’il vise « tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet », et non le seul acte de cession. Tout titulaire de brevet ou demande de brevet dont il ne serait pas le déposant doit donc être particulièrement vigilant et réaliser ces formalités en respectant la chaîne de droits dans son entièreté.
Espérant sauver son action en contrefaçon, le propriétaire avait fait procéder dix-huit mois après la délivrance de l’assignation à l’inscription du transfert pour régulariser cette fin de non-recevoir. En effet, la régularisation d’une fin de non-recevoir est envisagée par l’article 126 du code de procédure civile. Toutefois, la Cour d’appel souligne que la régularisation d’une fin de non-recevoir n’a d’effet que pour l’avenir, en l’espèce pour la période postérieure à l’inscription intervenue le 13 août 2018. Les prétendus actes de contrefaçon ayant été constatés en novembre et décembre 2016, le propriétaire des brevets ne pouvait qu’être jugé irrecevable en son action en contrefaçon.
Bien qu’à la différence du tribunal, la Cour d’appel ait retenu que la preuve de l’existence du transfert des brevets était bien rapportée par le demandeur, celle-ci confirme le jugement de première instance en l’absence de publicité du transfert.
Les conséquences de l’irrecevabilité
S’agissant des personnes, la sanction n’affecte pas seulement le nouveau titulaire des brevets mais également son licencié exclusif. En effet, si l’alinéa 3 de l’article 613-9 précité ouvre au licencié exclusif la possibilité d’intervenir à l’action en contrefaçon engagée par le titulaire du brevet, c’est à la condition que cette action soit recevable. L’action du propriétaire des brevets étant jugée ici irrecevable, les demandes du licencié exclusif sont également rejetées par la Cour.
Autre conséquence non moins sévère, la Cour d’appel retient l’existence d’une faute, en raison d’une part du fait pour le nouveau propriétaire de ne pas avoir mentionné l’existence du transfert des brevets lors de la procédure aux fins d’autorisation de saisie-contrefaçon et, d’autre part, de la durée – deux jours - pour la réalisation de l’opération. Le nouveau propriétaire est donc condamné au versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice de désorganisation subi par le défendeur que les juges estiment aggravé en raison de la réalisation de la saisie-contrefaçon pendant le mois de décembre.
Finalement, le propriétaire des brevets ne pouvait que procéder à de nouvelles mesures pour constater les actes censés contrefaisants et à une nouvelle assignation. Toutefois, les trois brevets invoqués étaient expirés depuis le 11 avril 2017, le 30 septembre 2017 et le 27 octobre 2020. Or, pour l’obtention d’une autorisation de saisie-contrefaçon, la jurisprudence exige que le requérant présente le brevet et justifie que « ce titre est en vigueur et, s’il n’en est le propriétaire initial, qu’il est en droit d’en invoquer le bénéfice »[3]. Dès lors, même si les actes de contrefaçons sont antérieurs à l’expiration des brevets et non encore atteints par la prescription, la requête sera rejetée.
Si le présent arrêt concerne le défaut d’une inscription à un registre national puisque les brevets avaient été délivrés et le délai d’opposition écoulé, cette formalité s’impose également à une échelle supranationale, en particulier auprès de l’Office européen des brevets, lorsque le délai d’opposition court encore. À défaut d’inscription du transfert sur le registre européen des brevets, le nouveau titulaire du brevet ou son licencié sera jugé irrecevable à agir en contrefaçon[4].
Quant aux futures actions en contrefaçon exercées devant la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB), il convient là encore d’inscrire au registre de la protection unitaire conférée par un brevet les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à un brevet européen à effet unitaire afin de rendre ces actes opposables aux tiers[5]. En effet, l’article 47.6 de l’Accord sur la JUB[6] ouvre l’action en contrefaçon d’un brevet unitaire à toute personne habilitée à engager une action conformément à son droit national. La possibilité pour le titulaire ou le licencié d’engager une action devant la JUB est donc conditionnée pour les requérants français à une inscription au registre.
Pour plus d’informations sur les procédures d’inscription, vous pouvez contacter l’équipe en charge des inscriptions et contrats de brevets à l’adresse pat.recordals@novagraaf.com.
Léa Laguiseray, Consultante juriste propriété industrielle, Novagraaf, France
[1]C. propr. intell. art. L. 613-9, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019298708
[2] par ex. : TGI Paris, 2 mai 2000, 3ème ch., 3ème section, RG 98/7066
[3] Cass. com., 29 janvier 2008, n°07-14.709, CCE, n°3, mars 2008, comm. 34
[4] Cass. com., 3 avr. 2012, n° 11-14.848, s’agissant d’une licence.
[5] MINISTÈRE DE LA JUSTICE, ordonnance n° 2018-341 du 9 mai 2018 relative au brevet européen à effet unitaire et à la juridiction unifiée du brevet, JORF, 10 mai 2018, futur art. L. 614-16-2, C. propr. intell.
[6] Cons. UE, 2013/C 175/01 : JOUE n°C 175, 20 juin 2013.