JUB : Royaume-Uni out, l’Allemagne toujours in
Alors que tout était rassemblé pour que la juridiction unifiée du brevet voit le jour, son entrée en vigueur se voit ralentir à la fois par le Brexit et, également par un problème de constitutionnalité en Allemagne.
Il y a 7 ans, 25 États membres de l’Union européenne, dont la France, signaient l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet. Pour rappel, cet accord fait partie d'un ensemble réglementaire sur les brevets dont l'élément central est l'introduction d'un brevet européen à effet unitaire au niveau de l'Union Européenne par le biais d'une coopération renforcée. Comme vous le savez sûrement déjà, le brevet européen à effet unitaire offrira une protection unitaire dans tous les États membres participants. L'accord prévoit, entre autres, l'établissement d'une juridiction unifiée du brevet, la Cour européenne des brevets, en tant que juridiction commune à la plupart des États membres qui aura la compétence exclusive en matière de litiges relatifs aux brevets européens à effet unitaire et présentera l’avantage d’assurer une sécurité judiciaire entre les États membres participants.
Toutefois, comme nous pouvons le constater aujourd’hui avec le Brexit d’une part, et avec ce qui se passe en Allemagne au sujet de la ratification de cet accord d’autre part, la route qui mène à son entrée en vigueur est semée d’embuches.
En Grande-Bretagne, l’itinéraire menant à l’entrée en vigueur d’un tel accord a effectivement été interrompu par le Brexit porté par le nouveau gouvernement britannique à la tête duquel se trouve Boris Johnson. Pour marquer davantage son désaccord à l’idée de faire partie d’une telle juridiction européenne, le nouveau gouvernement britannique a récemment déclaré en substance que le Royaume-Uni ne cherchera pas à participer au système de la juridiction unifiée du brevet dans la mesure où participer à la mise en place d'un tribunal qui appliquerait le droit européen et qui serait lié à la Cour Européenne des brevets est incompatible avec ses objectifs de devenir une nation indépendante et autonome. Cette annonce a surpris de nombreux membres de la communauté européenne des brevets qui, malgré le Brexit, s'attendaient à ce que le Royaume-Uni s'en tienne à sa ratification du 26 avril 2018 dans la mesure où le précédent gouvernement dirigé par Theresa May soutenait la mise en place de cette juridiction unifiée du brevet.
En pratique, le retrait britannique a pour conséquence que la division centrale de la cour chargée des affaires relatives aux sciences de la vie, qui avait été initialement attribuée à Londres, devra être déplacée. De plus, les avocats britanniques qui ne disposent pas de droits d'audience dans un État membre de l'Union européenne ne pourront pas représenter leurs clients devant la Cour européenne des brevets alors que les mandataires en brevets européens britanniques ayant une qualification en matière de litiges le pourront. Il est à noter tout particulièrement qu’un tel retrait impacte surtout l'ensemble du système du brevet unifiée qui sera moins attrayant dans la mesure où espérer une protection au Royaume-Uni, qui pour rappel fait partie intégrante du G7, via un brevet européen à effet unitaire ne pourra être envisagé.
Parallèlement à ce qui est indiqué ci-avant, une toute autre histoire s’écrit actuellement à ce sujet en Allemagne qui, contrairement à la France et au Royaume-Uni, n’a toujours pas ratifié l’accord relatif à la juridiction unifiée du brevet et son processus de ratification se voit aujourd’hui ralenti. Ce ralentissement n’est pas sans conséquence quand nous savons que la mise en application d’une telle juridiction unifiée est aujourd’hui dépendante de la ratification par l’Allemagne sans laquelle l’accord ne pourra entrer en vigueur. C’est pourquoi, il est intéressant de suivre de près le trajet emprunté par les allemands sur ce point. En particulier, maintenant que l’ensemble des dispositions relatives à la juridiction unifiée du brevet est fixé, l’Allemagne s’attèle à approuver, à l’échelle nationale, les conditions préalables à la ratification de l'accord sur la juridiction unifiée du brevet. Dans cette optique, le parlement allemand avait voté une loi de transposition relative à la mise en place de la Cour européenne des brevets. Le 20 mars 2020 la Cour constitutionnelle allemande a décidé que le vote du parlement n’était pas valable. Pour cause, la loi contestée a certes été adoptée à la majorité par le parlement allemand mais elle ne l’a toutefois pas été par les deux tiers de ses membres, ce qui s’avère finalement être rédhibitoire. En effet, l’accord relatif à l’élaboration d’une juridiction unifiée du brevet portant en partie atteinte à la souveraineté nationale du fait du remplacement des tribunaux allemands en matière de brevet européen par la Cour européenne des brevets, la Cour constitutionnelle allemande a invalidé la loi de transposition votée par parlement allemand en considérant qu’un accord contenant une disposition qui, dans sa fonction, équivaut à une modification de la Constitution, ne peut être admis, selon la législation allemande, que si celui-ci est adopté par le parlement aux deux tiers et non à la majorité.
Cependant, dans un communiqué de presse du 26 mars 2020, le ministre allemand de la Justice a clarifié la position politique allemande à l’égard de la juridiction unifiée du brevet en déclarant que la mise en place de la Cour européenne des brevets est bien soutenue par le gouvernement allemand. À cette occasion, le gouvernement allemand réaffirme sa volonté de poursuivre le processus de ratification an avançant le fait que la cour constitutionnelle allemande n’a pour l’heure retenu que le motif relatif au vote parlementaire en rejetant clairement les autres motifs. Par conséquent le gouvernement allemand ne doute pas que la majorité des 2/3 sera obtenue au parlement lors d’un prochain vote qui devrait se dérouler très prochainement, sûrement cette année.
C’est pourquoi, l’année 2020 se présente comme une année charnière pour la juridiction unifiée du brevet qui, après la ratification allemande, devrait entrer en vigueur et ainsi permettre de favoriser l’innovation et le développement économique dans la période difficile qui va suivre la crise sanitaire actuelle.