Le contrat de cession à prix symbolique : le risque de qualification de donation déguisée

Par Novagraaf Team,
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Le brevet confère à son titulaire un monopole d'exploitation sur une invention, ce qui permet de valoriser les investissements en recherche et développement. Le dépôt d’un brevet représente ainsi une création de valeur, qui peut être exploitée de différentes manières, notamment par la cession de ce droit à un tiers.

La cession d’un brevet, en droit français, est un contrat dans lequel le titulaire du brevet (le cédant) transfère ses droits à un autre acteur (le cessionnaire) en échange d’une contrepartie financière, souvent fixée par les parties selon la valeur estimée du brevet.

Pour qu’une cession soit valide, elle doit respecter les principes généraux du droit des contrats. Cela inclut l’accord éclairé des parties[1], la capacité juridique des contractants, et un contenu licite et certain. Cette dernière condition peut poser un problème en cas de « prix symbolique » dans le contrat, dans lequel la contrepartie fixée est significativement inférieure à la valeur réelle de l’objet. Ce type de prix peut exposer les parties à des risques de requalification en donation déguisée, avec des implications fiscales et patrimoniales importantes.

Qu'est-ce qu'un contrat à prix symbolique ?

Un contrat à prix symbolique est un contrat dans lequel le prix de la prestation n’est pas proportionné à la valeur de l'objet échangé.

Par exemple, il peut s’agir de la vente d’un brevet ou bien d’une marque de grande valeur pour un euro symbolique. Cette technique est souvent utilisée pour faciliter le transfert d’un bien sans vouloir engager une opération financière lourde. Mais cette absence de réelle contrepartie financière soulève la question de la réelle intention des parties

Dans ce contexte, l’administration fiscale et le juge occupent un rôle essentiel pour garantir la validité et la conformité de ces contrats.

Des enjeux fiscaux dans la requalification de la cession en donation déguisée

En droit, une donation est un acte par lequel une personne transfère de manière gratuite la propriété d’un bien à une autre personne.

Lorsqu’un bien, tel qu’un actif de propriété intellectuelle comme un brevet, est vendu à un prix symbolique, la tentation est forte pour l’administration fiscale de considérer que le contrat n’a pas pour véritable objet une vente, mais bien une donation déguisée.

Pour cela, deux éléments sont examinés :

  1. La disproportion manifeste entre le prix et la valeur réelle du bien,
  2. L'intention libérale du vendeur (c’est-à-dire sa volonté d’avantager le bénéficiaire).

L’administration fiscale a le pouvoir de ne pas reconnaître la qualification juridique que les parties donnent à un acte si cette qualification ne reflète pas la réalité de l'opération. Autrement dit, si un acte est présenté comme une vente, mais qu'il a en réalité les caractéristiques d'une donation, l'administration fiscale peut ignorer la « fausse » qualification (ici, vente) et lui appliquer les règles et taxes correspondant à sa véritable nature (ici, donation).

Cela permet de lutter contre les montages juridiques destinés à contourner des règles fiscales.

La requalification de la cession en donation déguisée n’est pas sans conséquence. En France, les donations sont soumises à une taxe spécifique appelée droits de donation, dont le montant varie en fonction du lien familial entre le donateur (celui qui donne) et le donataire (celui qui reçoit). Plus le lien de parenté est éloigné, plus ces droits peuvent être élevés. Lorsqu'une vente est effectuée à un prix symbolique, les autorités fiscales peuvent requalifier cette transaction en donation déguisée. Dans ce cas, les droits de donation seront appliqués, souvent à un taux bien plus élevé que les frais de notaire associés à une vente classique.

En effet, dans le cadre des affaires familiales, il est courant que des brevets soient cédés entre membres d’une même famille à des prix largement sous-évalués. Par exemple, un inventeur pourrait céder son brevet à son fils pour 1 €, alors que ce brevet a une valeur de marché de 50 000 €. Si l’administration fiscale constate une différence évidente entre le prix de cession et la valeur réelle du bien, elle peut requalifier l'opération en donation déguisée. Cela entraîne l’application rétroactive des droits de donation, avec des pénalités possibles.

De plus, lors d'une succession, une donation déguisée peut engendrer des tensions entre héritiers, notamment si elle favorise un héritier au détriment des autres. La requalification en donation permet alors aux héritiers lésés de demander une compensation lors du partage de l'héritage. En effet, la loi impose une réserve héréditaire, une part minimale de l’héritage devant être garantie pour certains héritiers. Ainsi, des donations excessives ou des avantages disproportionnés ne doivent pas réduire cette réserve.

On notera bien que ces cas sont spécifiques aux affaires familiales, et n’ont pas de transposition directe dans le monde des entreprises.

Une insécurité légale de la cession à prix symbolique

Selon l’article 1169 du Code civil, le juge peut annuler un contrat lorsque la contrepartie convenue est « illusoire » (c’est-à-dire inexistante) ou « dérisoire » (trop faible pour être considérée comme réelle). Dans ce cas, l'absence d'une contrepartie sérieuse remet en cause la validité du contrat. Un exemple typique de contrepartie dérisoire serait un prix tellement faible qu’il ne peut pas être raisonnablement perçu comme une valeur en échange du brevet cédé puisque cela compromet la validité de l’obligation réciproque entre les parties.

C’est ici que l’on retrouve l'une des conditions de validité d’un contrat, qui est la présence d’un contenu licite et certain. Dans un contrat de cession onéreuse de brevet, chaque partie doit s’engager réciproquement. On parle d’obligation synallagmatique : le cédant transfère la propriété du brevet, tandis que le cessionnaire s’engage à payer le prix convenu.

Le Code civil permet aux tribunaux d’annuler le contrat et de le requalifier en donation déguisée si les éléments de preuve montrent que l'opération a pour but de contourner les règles applicables aux donations, notamment en matière de fiscalité et de succession.

Si une donation est dissimulée sous l’apparence d’une vente, elle peut être considérée comme une fraude. Dans ce cas, le juge peut annuler le contrat pour dissimulation de la cause réelle, privant le bénéficiaire des biens transférés, comme des brevets ou des actifs de propriété intellectuelle. Cette mesure vise à garantir l'équité et à empêcher toute tentative de contourner les règles fiscales ou successorales.

Dans la pratique, l'Administration fiscale et les juridictions légales collaborent étroitement pour garantir le respect des règles fiscales et l'intégrité des transactions contractuelles. Tandis que l'Administration fiscale se concentre sur la conformité aux obligations fiscales, les juridictions légales assurent le contrôle de la légalité et de la sincérité des contrats. Cette synergie permet de prévenir les abus et de sanctionner les transactions qui, bien que déguisées en apparence licite, visent à échapper à l'impôt.

Par exemple, toujours dans le cadre des affaires familiales, dans un arrêt du 7 juillet 2021[1], la Cour de cassation a validé la requalification de cessions de parts sociales au prix symbolique de 1 euro en donations déguisées, ces parts ayant une valeur réelle de 760 000 euros. L'administration fiscale a relevé que, bien que ces cessions aient été motivées par une volonté de réorganisation de l'entreprise en raison de tensions familiales, les cédants ne pouvaient ignorer l'écart manifeste entre le prix de vente et la valeur réelle des parts. Cette libéralité dissimulée a donc justifié un redressement fiscal, avec une pénalité majorée de 80 % pour abus de droit fiscal.

Cette décision renforce l'idée d'une collaboration entre l’Administration fiscale et les tribunaux, chacun jouant un rôle distinct mais complémentaire pour assurer le respect des obligations fiscales et la transparence des transactions.

Mais comment éviter la requalification ?

Pour éviter la requalification d’une vente à prix symbolique en donation déguisée, il est recommandé aux parties plusieurs choses. Il est fortement conseillé aux parties de stipuler une contrepartie réelle : même si le prix est réduit, il doit refléter une certaine valeur. Une vente à un prix inférieur au marché est acceptable, tant que ce prix reste raisonnable par rapport à la valeur réelle du bien.

Par exemple, dans le domaine des brevets, il est souvent difficile d'évaluer la valeur d'un brevet sans l'assistance d'un expert. Il est donc recommandé de solliciter une estimation professionnelle afin de céder le brevet à sa juste valeur et d'éviter d'éventuelles conséquences juridiques.

Il est également conseillé de bien définir l’intention des parties dans l’acte de vente, en précisant les raisons d’un prix réduit. Un acte authentique rédigé par un notaire peut aussi contribuer à sécuriser la vente en cas de contestation future.

Et surtout, il faut éviter la dissimulation de donation : lorsque l’objectif est véritablement de transmettre un bien de manière libérale, il est préférable d’opter pour une donation régulière, quitte à payer les droits y afférents, plutôt que de tenter de dissimuler l’opération sous un prix symbolique.

La jurisprudence[1] a récemment admis à plusieurs reprises la requalification de plusieurs d'entre elles en donations, exigeant leur formalisation devant notaire conformément au Code civil. À défaut, ces cessions peuvent être annulées par les tribunaux. Pour éviter ce risque, il est recommandé de prévoir une contrepartie réelle dans les contrats ou de respecter les formalités notariales en cas de gratuité. Un audit des contrats existants peut permettre de régulariser les situations à risque.
 

Juliette Fremy, Stagiaire Juriste, Novagraaf, France

[1] Legifrance Article 1216 du Code civil
[2] Jurisprudence : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 juillet 2021, pourvoi n°19-16.446 https://www.gerantdesarl.com/actualite/jurisprudence-meme-entre-membres-d-une-meme-famille-les-cessions-de-parts-pour-1-euro-symbolique-sont-risquees
[3] Cour judiciaire de Lyon, 9 avril 2024, no. 20/05900
 

Sources :

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