Quel est le bon moment pour déposer une marque ?

Par Sigolène Pellet,

Le moment du dépôt d’une marque peut avoir un impact direct sur sa validité. Trop tôt, elle encourt une déchéance pour non-usage, trop tard, elle encourt la nullité. Voici les éléments à prendre en compte pour déterminer le moment propice pour déposer une marque. 

  1. Le risque inhérent à un dépôt prématuré :

Une fois la marque enregistrée, son titulaire dispose d’un certain délai pour commencer à l’exploiter pour les produits et/ou services qu’elle désigne. Au-delà de ce délai, si la marque n’est toujours pas exploitée, elle encourt une déchéance pour non-usage, si un tiers décide d’agir à son encontre sur ce fondement, ou une radiation de la marque par l’Office si son maintien est subordonné au dépôt d’une déclaration d’usage comme c‘est le cas dans certains pays à l’instar des Etats-Unis ou du Mexique.  

Ce délai est variable en fonction des pays. En général, il varie de trois à cinq ans à compter de l’enregistrement ou de la publication de la marque. 

Déposer trop en amont du lancement de la marque sur le territoire visé peut faire encourir le risque de perdre la marque avant même d’avoir débuté son exploitation.

Par conséquent, avant de commencer à déposer dans tous les pays d’intérêt, il est recommandé de se renseigner sur le délai d’obligation d‘usage et de s’assurer que la marque sera exploitée avant l’expiration de ce délai.

  • Les risques inhérents à un dépôt tardif :

Trop tarder à déposer la marque destinée à couvrir les produits et services risque d’être fatal pour la marque et parfois même pour le projet lui-même. 

En premier lieu, il est recommandé d’attendre l’enregistrement de la marque avant de communiquer sur celle-ci ou de commencer à l’apposer sur les produits.

En effet, avant d’être enregistrée, plusieurs dangers menacent la marque à commencer par le risque de refus de l’Office fondé sur un motif absolu tel que le défaut de caractère distinctif du signe déposé. Dans la plupart des cas, ce type de refus bien qu’entrainant le rejet de la marque n’empêche pas pour autant son usage. Il est cependant dommageable de commencer à capitaliser sur une marque qui n’est pas protégeable.

Le second risque qu’encourt une marque pendant son examen est l’opposition formée par un tiers, sur la base d’un droit antérieur. Ce type d’action, si elle aboutit, entraîne le rejet de la marque et peut légitimer ensuite une action en contrefaçon en cas d’usage du signe litigieux. A noter que l’enregistrement d’une marque ne garantit pas que la marque soit exempte de tout risque d’action de la part de titulaires de droits antérieurs. Il reste en effet possible pour ces derniers d’agir en nullité ou en contrefaçon tout au long de la vie de la marque. Le risque reste cependant plus élevé au moment du dépôt de sorte qu’une fois enregistrée, la marque est relativement solide.

Il résulte de ce qui précède que communiquer sur une marque avant son enregistrement est risqué. Il serait en effet malencontreux de devoir changer de marque alors qu’elle serait déjà apposée sur tous les produits et supports publicitaires et que la clientèle se serait déjà familiarisée avec elle.

Par conséquent, dans la mesure du possible, il est recommandé de déposer relativement en amont du lancement de la marque et d’attendre son enregistrement avant de commencer à communiquer et capitaliser dessus. Ainsi, il serait moins difficile de se reporter sur une autre marque si la première devait être refusée à l’enregistrement à la suite d’une décision de l’Office ou d’une opposition.

Le délai qu’il convient d’avoir en tête ici est le délai moyen de la procédure d’enregistrement d’une marque qui est très variable d’un pays à un autre : il est, par exemple, d’environ 6 mois pour une marque de l’Union européenne tandis qu’il peut durer des années dans certains autres pays (Australie, Nigéria, Pakistan).

Ainsi, au moment de parler de votre projet de marque à votre Conseil en Propriété Industrielle, n’hésitez pas à l’interroger sur les délais d’enregistrement dans les différents pays de votre intérêt.

Par ailleurs, si un dépôt est effectué trop tardivement, il peut être considéré comme étant frauduleux. C’est le cas par exemple d’une marque déposée consécutivement à l’expiration d’un autre droit de propriété intellectuel tel qu’un dessin et modèle ou un brevet (à titre d’exemple : l’affaire CERAMTEC - CA de Paris, pôle 5 –chambre 2, 25 juin 2021, RG 18/15306.) De fait, un tel dépôt serait perçu comme un détournement du droit de marque pour proroger un monopôle.

Il convient de préciser que le cumul de protection par plusieurs droits de propriété intellectuels sur une même création ou invention n’est pas interdit en soi. C’est le fait de déposer une marque peu de temps avant ou après l’expiration de l’autre droit de propriété intellectuelle qui peut sembler suspect et caractériser la mauvaise foi du déposant. C’est pourquoi, il est recommandé d’envisager ces différentes protections de façon concomitante dès le début de la vie du projet.

Enfin, trop tarder dans le dépôt de sa marque peut entraîner un rejet ou une nullité pour défaut de caractère distinctif. C’est le cas lorsque le signe en question est trop connu au moment du dépôt pour être perçu comme étant une marque, c’est-à-dire un signe ayant pour fonction d’indiquer une origine commerciale.

La demande de marque « 1984 » et la marque portant sur la forme iconique des bottes de neige Moon Boot en ont récemment fait les frais devant les instances européennes. Selon l’EUIPO, le signe « 1984 » sera notamment perçu par le consommateur comme désignant l’œuvre de George Orwell qui est tellement connue que son titre est passé dans le langage courant et, à cet égard, serait dépourvu de caractère distinctif (EUIPO, 4 juillet 2019, R-017869425 – à noter que l’affaire est actuellement renvoyée devant la grande chambre de recours de l’EUIPO.)

De la même manière, l’affaire Moon Boot portait sur une marque tridimensionnelle déposée plus de vingt ans après la première commercialisation de la chaussure après-ski du même nom. Au moment du dépôt, cette forme était déjà omniprésente sur le marché de sorte que, dans le cadre d’une action en nullité, le Tribunal de l’Union européenne a considéré que ce signe n’était pas distinctif au regard des normes et habitudes du secteur mais une simple variante des formes du marché. En somme, la marque était sans doute distinctive au moment de son lancement mais devenue générique au moment de son dépôt (TUE, 19 janvier 2022, T-483/20.)

Déposer trop tard un signe connu est donc risqué.

Pour récapituler, afin de déterminer le moment propice au dépôt d’une marque, il convient de prendre en compte les éléments suivants :

  • Le délai au bout duquel la marque sera soumise à l’obligation d‘usage et la date présumée du commencement de l’usage ;
  • Le délai moyen d’enregistrement de la marque sur le territoire d’intérêt ;
  • Le délai de protection des autres droits de propriété intellectuelle dont fait l’objet la création ou l’innovation visée par le dépôt de marque ;
  • Le niveau de connaissance du signe par le public visé.

Pour de plus amples informations sur ce sujet dans le cadre de votre stratégie de marque, veuillez contacter votre Conseil habituel chez Novagraaf ou n'hésitez pas à nous contacter ci-dessous.

Sigolène Pellet, Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France

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